Deux premières nous attendaient à Bayreuth cette année : la représentation d’un opéra du Ring en tant que pièce isolée et le passage d’un artiste du plateau à la fosse d’orchestre. Retour sur une Walkyrie mémorable, dirigé par Placido Domingo avec Catherine Foster, John Lundgren, Stephen Gould (et son remplaçant Vincent Wolfsteiner), Anja Kampe, Marina Prudenskaya, Tobias Kehrer, Caroline Wenborne, Christiane Kohl, Simone Schröder, Marina Prudenskaya, Regine Hangler, Mareike Morr, Mika Kaneko et Alexandra Petersamer
En plus de la nouvelle production de Lohengrin, cette année au festival de Bayreuth le public attendait avec impatience la Walkyrie.
La curiosité était justifiée par plusieurs raisons : la première journée du Ring présentée en tant que pièce isolée hors du contexte du cycle, la dernière représentation de la controverse mise en scène de Frank Castorf, et un étonnant chef d’orchestre, Placido Domingo.
Cela est encore plus exceptionnel si l’on pense que le ténor avait joué ici le rôle de Siegmund au début des années 90, et qu’aujourd’hui il y revient pour le même opéra, mais pour le diriger.
La plus grande question était de savoir comment Domingo y arriverait. Avant Bayreuth, il s’était surtout consacré à la direction du répertoire italien et la il allait se confronter pour la première fois avec un opéra de Wagner, dans une salle à l’acoustique très difficile à maîtriser. Diriger à Bayreuth nécessite d’ajustements spécifiques car le son de l’orchestre doit être environ une demi-seconde en avance sur celui des chanteurs pour qu’il soit synchronisé dans la salle.

Les lumières s’éteignent. Un silence religieux tombe sur le temple wagnerien. Domingo prend sa place dans la fosse et la musique commence.
Depuis les premières notes de l’ouverture, au tempo très lent, on commence à s’inquiéter pour les chanteurs. Déjà empêtrés dans des rôles exigeants, ce choix stylistique va rendre encore plus difficile la performance.
Le premier a en souffrir est Vincent Wolfsteiner qui, non seulement doit affronter le défi d’une prise de rôle de dernière minute (en remplaçant Stephen Gould, souffrant), mais doit également réussir à ne pas se laisser distraire par les improvisations d’un pair de dindes, parts du décor imaginé par Castorf, aujourd’hui particulièrement loquaces. On endure donc un premier acte difficile qui peine à s’envoler. L’orchestre couvre parfois les voix en les rendant inintelligibles et en en aplatissant les résonances.
Heureusement les actes suivants sont plus fluides, la mise en place devient moins fragile et on arrive enfin à apprécier le spectacle et à se laisser porter par les émotions.
Ce qui contribue à la réussite du deuxième acte est la puissance théâtrale des deux rôles centrales du Ring : Brunnhilde et Wotan, remarquablement interprétés par Catherine Foster et John Lundgren.
La walkyrie fait une entrée en scène assurée et percutante qui préconise l’importance de son rôle, car s’il y a un héros dans le Ring, ce n’est ni Siegmund ni Siegfried, mais c’est bien elle, la favorite de Wotan, qui lui désobéit et est ainsi punie en perdant son immortalité.
Lors des trois journées du drame lyrique on assiste à une véritable évolution de son personnage, d’abord joyeux et insouciant, puis de plus en plus mature et désabusé. La jeune fille devient femme adulte, prend ses propres décisions et en assume les conséquences.
Comme dans les précédentes éditions du festival Catherine Foster nous épate par la clarté et l’énergie de sa voix, par l’équilibre du souffle et par son grand engagement.
Le Wotan de John Lundgren est tout en contrastes : imposant et résolu dans son désir de pouvoir, qui se révèle plus fort que son amour pour les jumeaux et pour Brunnhilde, mais aussi inhibé par les contraintes de son rôle de roi des dieux et par ses propres règles, que sa femme est obligée de lui rappeler. Son incarnation par John Lundgren est sincère et touchante (en particulier dans son adieu à sa fille Leb wohl, du kühnes, herrliches Kind), et on apprécie sa voix ferme et résonnante.

De Tobias Kehreron (Hunding) on remarque la voix sonore, ronde et virile qui remplit la salle de belles couleurs. Son personnage, autoritaire et menaçant — il n’hésite pas à se jeter sur Siegmund en sautant de l’escalier — est une incarnation extrêmement convaincante.
De son côté Vincent Wolfsteiner (Siegmund) fait preuve de ténacité et de professionnalisme, amplement récompensé par les applaudissements du public. Son Siegmund a toutes le caractéristiques du personnage : héroïque, courageux et poignant quand il est question de son amour pour Siegliende.
Anja Kampe (Siegliende), dont on remarque la voix veloutée et l’émission stable et homogène, incarne de manière convaincante une femme rompue, soumise à un mari violent et abusif. Grâce à la présence de Siegmund, elle prend le courage à deux mains, se rebelle et quitte le foyer conjugal.
Malheureusement cela ne plaît pas à Fricka qui explique ses raisons à Wotan dans une ironique scène domestique (l’homme qui lit le journal pendant que la femme se plaint). Au tout début on lui en veut du manque d’empathie pour la souffrance de Siegliende, mais l’interprétation passionnée et au final, très touchante, de Marina Prudenskaya nous fait prendre du recul et compatir cette femme qui protège l’intégrité de son mari. La voix agréable et ronde du mezzo-soprano contribue également à rendre ce personnage plus agréable que d’habitude.

En assistant à nouveau au Ring de Castorf, les nombreux niveaux de lecture apparaissent de plus en plus clairs, et on apprécie d’autant plus les vidéos qui améliorent la lisibilité de ce qui se passe sur scène, en particulier ce qui n’est pas visible par le public, et qui illustrent le parallèle avec la révolution bolchevique.
L’usine d’huile d’Azerbaïdjan termine donc son service à Bayreuth. Patric Seibert est relevé de ses nombreux rôles muets, qu’il a assuré avec engagement et force de caractère, et la salle peut se vider de la complexe architecture imaginée par Aleksandar Denic, en attendant le nouveau Ring de 2020…