Du 4 au 15 octobre 2017, s’est tenu le 22ème Festival Toulouse Les Orgues en différents lieux de la ville rose, qui compte une collection d’instruments exceptionnels. Yves Rechsteiner, son directeur artistique, également organiste, pédagogue et transcripteur, revient sur les moments marquants de cette édition “déraisonnable” sur le thème de la “folie”.
Yves Rechsteiner, le Festival Toulouse les Orgues 2017 a-t-il été une folie ?
Oui, au sens où j’entends la folie: un tourbillon de concerts de grande qualité, avec de belles surprises concernant certains musiciens, des émerveillements lors de créations, des « coups de chaud » lorsqu’il a fallu jouer au pied levé sur un orgue que je n’avais jamais vu…
Pouvez-vous nous parler du Concours international d’orgue Xavier Darasse, qui a eu lieu en préambule de l’évènement ?
Un rendez-vous où se côtoient pendant quelques jours une douzaine de jeunes organistes aux talents très divers. Passionnantes rencontres, où l’on mesure à quel point il est difficile de faire tenir des talents artistiques sur les marches d’un podium où il faut attribuer des prix. Le jury a d’ailleurs reconnu cette difficulté en donnant 2 Premiers et 2 Seconds Prix ! Ce n’était jamais arrivé !
Lors de l’ouverture du festival, l’orgue de la basilique Saint-Sernin, conçu par le célèbre facteur d’orgue Aristide Cavaillé-Coll, résonnait de nouveau après plusieurs mois de nettoyage. Il s’agit d’un instrument incontournable à Toulouse, n’est-ce pas ?
“Le vaisseau amiral de la flotte”, ai-je coutume de dire… L’orgue le plus connu des 30 que compte la ville rose. Sous les doigts des organistes, c’est un instrument puissant, souple et musclé, un félin sonore…
Le public a pu découvrir une création, le concert “Cathedral mobile” à la cathédrale Saint-Etienne, quel était le principe de cet évènement ?
Une création où se mêlent des sons enregistrés en amont dans les rues, dans le métro de la ville. Des improvisations en live sur l’orgue de la cathédrale, et des sons de l’orgue traités en direct aussi par un musicien électro, un violoniste qui improvise en déambulant dans le public…
J’ai personnellement adoré cette soirée. J’ai baigné dans un univers de sons qui m’évoquait plein d’images intérieures. Une découverte, même pour moi !
Le festival s’exporte aussi dans toute la Région à travers les “Journées-Région”. Toulouse les Orgues peut-il apporter une notoriété aux instruments plus méconnus ou éloignés de Toulouse ?
Nous essayons de valoriser au moins le travail de nombreuses associations qui oeuvrent à faire découvrir « leur » orgue. Toulouse les Orgues peut apporter, le temps d’un concert, un petit coup de projecteur sur leur activité régulière et sur la passion qui les anime.
A l’église-musée des Augustins le spectacle “Le monde à l’envers” associait orgue, flûte traditionnelle japonaise et pendule. Peut-on revenir sur cette expérience fascinante ?
Il s’agit d’une expérience proche de la méditation. Le titre évoque à la fois les dessins réalisés par du sable s’écoulant d’une bouteille pendue au bout d’une corde en mouvement, et qui rappelle les nervures des plafonds de nos cathédrales. “Le monde à l’envers” c’était aussi une musique à l’envers de ce qu’on l’imagine de la musique d’orgue : douce, planante, en dialogue avec une seule flûte traditionnelle. Une sorte d’intimité entre le public, la flûte et l’orgue si discret, le tout autour de ce sable qui s’écoule inexorablement comme le temps de nos vies…
Le chef d’orchestre et organiste Wayne Marshall était notamment invité pour un concert à la Halle aux Grains, avec l’Orchestre National du Capitole, sous la direction de Joseph Swensen. Ce type de concert permet-il de toucher un public plus large, qui ne se déplacerait pas naturellement dans les églises ?
Le public de la Halle aux Grains aime les concerts avec orgue, car ces concerts ont toujours beaucoup de succès. Mais la difficulté vient de l’absence d’orgue à tuyaux à la Halle aux Grains. Nous louons donc des instruments qui imitent tant bien que mal l’orgue à tuyaux, et il faut toute la vivacité de Wayne Marshall pour faire oublier le manque de grandeur de ces orgues électroniques…
De nombreuses actions pédagogiques avec le jeune public sont organisées en partenariat avec le Festival, est-ce un moyen de conquérir les futurs spectateurs de Toulouse les Orgues ?
Nous l’espérons et nous continuons ces actions pour diffuser la connaissance de cette musique et de ce patrimoine. J’ai moi-même fait découvrir très souvent l’orgue à des enfants ou des adolescents et je n’ai jamais vu un seul enfant ne pas repartir émerveillé et surpris par ce qu’il avait découvert !
Pour finir, selon vous, peut-on être organiste et raisonnable à la fois ?
C’est la démesure de l’instrument et le côté solitaire de l’organiste qui ont inspiré au XXième siècle l’imaginaire de l’organiste-fou dans un décor de château hanté, façon Dracula.
En réalité, au quotidien, l’organiste est un musicien dévoué, fidèle, présent dimanche après dimanche, un vrai serviteur du patrimoine, un musicien au centre de la cité… un homme souvent raisonnable en effet !