Fraîchement paru, le nouveau CD intitulé Metamorphosis de la pianiste Célia Oneto Bensaid associe trois compositeurs, Philip Glass, Maurice Ravel et Camille Pépin pour créer un univers tout à fait singulier, reflet des affinités musicales de la jeune interprète : les musiques françaises et américaines, le répertoire contemporain. La force visuelle de ces pièces prend vie sous les doigts de Célia Oneto Bensaid, pianiste d’une infinie sensibilité. Un album hypnotique, sorti chez NoMadMusic.
Rares sont les albums sachant créer et maintenir un ton, une ambiance, du début à la fin. C’est une des grandes forces de celui-ci. Dès les quatre premiers accords de l’iconique Metamorphosis de Philip Glass, Célia Oneto Bensaid installe une atmosphère intime et en apesanteur, qui ne retombera pas.
L’album s’ouvre donc sur l’une des œuvres les plus célèbres du pionnier et figure de proue de la musique répétitive et minimaliste. Composée en 1988 pour honorer une commande de deux théâtres sur Métamorphose de Kafka, Glass a par la suite ajouté les parties 1, 2 et 5, dans lesquelles il reprend des thèmes de la musique du film The Thin Blue Line d’Errol Morris. Cette reprise n’a rien d’étonnant. Glass, compositeur prolifique, a notamment beaucoup composé pour le cinéma, qui l’a rendu populaire au-delà de la sphère pointue de la musique contemporaine. Il est, de fait, le compositeur contemporain américain le plus joué.
Tout au long de l’album, la simplicité lancinante des cinq Metamorphosis de Glass est rendue avec une grâce extrême par la pianiste. On sent chez la jeune interprète une profonde imprégnation de l’univers de Glass, une affinité culturelle qui correspond bien à sa génération, héritière des grandes révolutions musicales du XXe siècle.
Comme d’un regard dans le rétroviseur, elle enchaîne avec la cinquième pièce des Miroirs de Ravel, intitulé la Vallée des Cloches. Ici dans un calme apaisant, Ravel évoque les sons d’échos de cloches par le jeu des harmonies avec un art dont lui seul semble avoir le secret. On est en plein dans le style impressionniste du compositeur. Composées entre 1904 et 1906, ces pièces reflètent bien l’intention de Ravel, qui était de donner à entendre des images visuelles et les ambiances de cinq personnages différents, se regardant chacun dans un miroir. Célia Oneto Bensaid met en valeur la subtilité des harmonies avec une richesse de nuances phénoménales.
Une palette de nuances phénoménales
Le jeu de résonnance est un élément que l’on retrouve dans Number One de Camille Pepin, œuvre dans laquelle Célia Oneto Bensaid déploie une amplitude de son et une palette de nuances phénoménales.
Grande admiratrice de la jeune compositrice, dédicataire et créatrice de plusieurs pièces de Camille Pépin, c’est tout naturellement que son œuvre s’inscrit dans cet album.
Number One, composée en 2020, est la première œuvre pour piano seul de la compositrice, qui ouvre un cycle dédié au peintre américain expressionniste Jackson Pollock et joue sur la qualité orchestrale au piano .
L’album fait ensuite alterner dans un exquis vis-à-vis les univers de Ravel et de Glass : Noctuelles, Oiseaux tristes, Metamorphosis Four, Une barque sur l’océan, Metamorphosis Two, Metamorphosis Three, Alborada del gracioso, Metamorphosis Five… de ces métamorphoses planantes de Glass en miroirs étincelants de Ravel, Célia Oneto Bensaid tisse un paysage subjuguant, par un jeu extrêmement abouti, merveilleusement limpide. Son interprétation notamment de Alborada del gracioso de Ravel est saisissante de précision, de clarté. Le sentiment aérien porté à travers tout l’album s’achève sur la dernière Metamorphosis de Glass, dans un pianissimo doux amer, qui rappelle la solitude exprimée par les tableaux d’Edward Hopper.
Le jeu perlé de la pianiste, la richesse sonore du piano, la qualité de la prise de son, mais surtout l’originalité et la cohérence inattendue des juxtapositions et des enchaînements d’œuvres font de cet album aux couleurs subtiles un merveilleux kaléidoscope d’émotions musicales.
Mot de l’artiste :
“J’ai imaginé ce programme autour de pièces que je souhaitais mettre en résonance : le cycle des Miroirs de Maurice Ravel, figure pionnière de l’impressionnisme musical, la première pièce pour piano Number 1, de Camille Pépin, compositrice née en 1990 incarnant le renouveau de l’école française, en passant par les Metamorphosis, musique hypnotique de Philip Glass, compositeur américain vivant et né en 1937. Mêler ces trois univers qui se marient à merveille, permet de les mettre chacun en valeur de façon singulière.
J’ai imaginé ce programme autour de pièces que je souhaitais mettre en résonance
En cherchant à provoquer une sensation de lâcher-prise chez l’auditeur, j’ai fait le choix de rompre les cycles, et d’alterner les pièces, afin de mener à une écoute différente de ces répertoires : un fondu enchaîné au disque en somme !”