Mercredi 21 février, le saxophone avait rendez-vous avec l’orgue de la Maison de la Radio lors d’un “concert jazz”. Dave Liebman et Andy Emler ont su nous emporter dans ce voyage onirique, synthèse des musiques du XXème siècle.
Quelle belle idée de montrer l’orgue Grenzig de la Maison de la Radio sous un nouveau jour, à la lumière du jazz et de l’improvisation surtout, en association avec le saxophone. En effet Radio France a commandé à l’inventif Andy Emler la pièce donnée ce soir : Commutations 2, “un commentaire sur la nécessité de la reconnexion des êtres humains entre eux”.
Nourri à la musique classique, élève de Marie-Louise Gigout-Boëllmann, fille du célèbre organiste Léon Boëllman, il suivra la classe d’orchestration de Marius Constant au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. L’artiste se produira parallèlement dans les bals du samedi soir ! Un éclectisme qu’il ne cesse de cultiver tout au long de sa carrière, notamment avec son ensemble MegaOctet, plusieurs fois récompensé.
S’il est avant tout pianiste et compositeur, sa carrière d’organiste l’amène à se produire à la cathédrale Saint Sauveur d’Aix-en-Provence, avec ses partitions personnelles et ses improvisations, en compagnie d’un saxophone et d’un kora (instrument de musique à cordes d’Afrique de l’Ouest), puis formera un duo avec une clarinette. En 2011, Andy Emler est à l’orgue Cavaillé-Coll de la Fondation Royaumont aux côtés de membres du MegaOctet et sort le disque “Pause“, un concentré d’improvisations où l’on retrouve l’essence du concert de ce soir.
Le saxophoniste Dave Liebman est quant à lui un virtuose de renommée internationale (près de 300 disques à son actif), comptant notamment des collaborations avec Miles Davis de 1972 à 1974 et des concerts aux côtés d’artistes de musique classique. Ses nombreuses influences – musique classique, jazz, musiques du monde… – ne pouvaient entrer qu’en synergie avec les compositions d’Andy Emler.
Avant de débuter Commutations 2, une suite orchestrale composée de 9 pièces, une introduction à l’orgue, rejoint par le saxophone soprano, nous fait craindre une écrasante présence de l’instrument vis-à-vis de son partenaire, surtout dans l’utilisation des mixtures (jeux aigus et puissants). Tout l’art de l’organiste se trouve alors dans la registration : trouver un équilibre parmi les jeux à sa disposition afin de laisser une place adéquate au saxophone, ce que Andy Emler réussira à doser admirablement au fil du programme. Pour arriver à un résultat satisfaisant, l’organiste a dû effectuer un long travail sur les timbres en amont et utiliser les pédales d’expression, permettant de varier l’intensité du son de l’orgue.
Les deux artistes enchaînent les différentes séquences, entrecoupées parfois par les interventions au micro de Andy Emler, finement inspirées et drôles.
Ici, l’orgue accompagne le saxo avec un clin d’oeil au courant “minimaliste”. Là, Commutations 2 mêle des accents pop, rock, jazz, musiques du monde, avec également des incursions dans la période “électrique” de Miles Davis. Parfois, le saxophone tient le rôle d’accompagnement tandis que l’orgue excelle au premier plan.
L’alliage des timbres est saisissant. La complémentarité des deux instruments se retrouve particulièrement à certains moments. Lorsque l’organiste fait sonner les tuyaux les plus graves de l’orgue (grâce au pédalier notamment), le saxophone laisse sortir un seul souffle, sans véritable “son”… comme le prolongement physique des notes produites à l’orgue.
Parties écrites, improvisations libres et parfois légèrement préparées à l’écrit s’articulent de manière tout à fait naturelle.
Par ailleurs, il n’est pas facile de tenir le « groove » avec un instrument comme l’orgue de la Maison de la Radio car il faut s’accommoder du décalage sonore entre la console en avant-scène et le son des tuyaux, à l’arrière, mais Andy Elmer nous fait oublier cette puissante mécanique grâce à un renouvellement permanent des jeux. Il utilise judicieusement toutes les possibilités du Grenzig, comme le vent à pression variable – produisant une déformation du son – ou le sostenuto, ce dernier permettant de maintenir enfoncé des notes jouées jusqu’à de nouvelles touches actionnées.
Des jeux les plus doux au tutti de l’orgue, les contrastes sont surprenants. Face à cela, son compère Dave Liebman transforme plusieurs passages en pure poésie tandis que sa virtuosité nous éblouit dans des salves sonores acérées. Étonnant encore, lorsque le saxophoniste s’empare d’un petit flageolet pour dialoguer avec l’imposant orgue !
En clôture de programme, le saxophoniste Jean-Charles Richard, enseignant au Conservatoire à Rayonnement Régional de Paris, rejoindra le duo dans une dernière pièce festive.
A l’évidence, pari réussi, Andy Emler et Dave Liebman nous auront démontré qu’un orgue à tuyaux peut aussi se montrer à l’aise dans un répertoire proche du jazz. Rien d’étonnant finalement lorsque l’on sait que les plus grands organistes se doublent souvent d’improvisateurs hors-pairs !