Michel Strauss ©Tom Fecht
Michel Strauss ©Tom Fecht

Conversation avec Michel Strauss

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Conversation avec Michel Strauss, violoncelliste et directeur artistique du festival « Musique de chambre à Giverny ».

 

 

Après Paris et Vienne, l’onzième édition du festival nous amène à Prague. Pourquoi avez-vous choisi une programmation atour de cette ville ?

Cette grande capitale, imprégnée de culture allemande, est une ville incontournable dans l’histoire du XXe siècle en Europe.

J’ai essayé de faire une programmation la plus variée possible, en mettant l’accent sur des pièces excellentes, mais très peu jouées et sur des compositeurs plus et moins connus.
A côte de Bedřich Smetana, Antonín Dvořák, Leoš Janáček et Josef Suk on a pu retrouver Pavel Haas, Erwin Schulhoff, Gideon Klein, Zdeněk Fibich et des contemporains, comme Krystof Maratka et Jan Novák, disparu en 1984.

Mais parmi ces compositeurs Tchèques, il y en a qui ne sont joués qu’en relation avec leur histoire de déportation et je trouve ça dommage. S’il est important de se souvenir du tragique tournant qui a pris l’Europe au XX siècle, je pense qu’il faut également présenter ces artistes, non pas comme des compositeurs de « ghetto » mais comme des musiciens à part entière.

C’est pour cela que nous les avons joués dans plusieurs concerts et non seulement dans la journée en mémoire des déportés de Theresienstadt, où nous avons également diffusé le documentaire « Everything is a present » sur la pianiste Alice Sommer-Herz, rescapée de Terezín. Cette femme remarquable, que j’ai connue personnellement, nous a donné un témoignage poignant sur la force de la musique dans les pires moments de sa vie.

 

Pendant le festival, 9 luthiers ont relevé le défi de construire un violoncelle en 10 jours, sous la coordination de Frank Ravatin. Comment avez-vous eu cette idée ?

Je discutais avec Frank Ravatin des difficultés de financement du festival, quand il a eu l’idée de construire un violoncelle pour le vendre au profit de notre association.
Cette proposition m’a beaucoup ému et je suis ravi d’avoir pu jouer ce bel instrument le dernier jour du festival.
La présence de l’atelier de lutherie a été très appréciée par les musiciens, le public et les luthiers eux mêmes, qui ont été contents d’expliquer et de montrer le travail de construction du violoncelle.

 

La distribution du festival mélange des jeunes musiciens à leurs collègues plus expérimentés.

Le programme du festival a été choisi également en fonction de ces jeunes, pour leur faire découvrir des compositeurs et des œuvres peu connues. Mais leur âge ne doit pas vous tromper, car ils ont tout de même des carrières déjà très riches et variées.

 

Est-ce que le public a envie d’écouter ce répertoire plus rare ?

Aujourd’hui trop d’importance est donnée à la notoriété des interprètes ou des compositeurs, au détriment de très belles oeuvres, qui souvent prennent la poussière dans les bibliothèques.

Je pense qu’il faut inverser cette tendance et ne pas se contenter de jouer les mêmes oeuvres des milliers de fois. Mozart, Tchaïkovski et Bach ont été des compositeurs extraordinaires, mais en tant qu’artistes, nous avons la responsabilité d’éduquer le public à d’autres répertoires, tout en privilégiant le sérieux et la qualité.

 

Aux concerts on avait l’impression que les musiciens se faisaient plaisir malgré la difficulté des œuvres qu’ils jouaient…

Comme le festival de Giverny a la particularité d’être également une résidence d’artistes, cela stimule énormément les musiciens et leur donne envie de se dépasser.
Le rythme de travail est soutenu et le répertoire n’est pas facile, mais c’est un vrai bonheur pour les musiciens de découvrir ces oeuvres et de les faire découvrir au public.

 

Après Henri Dutilleux, Krzysztof Penderecki, Philippe Hersant, Sofia Gubaidulina et Kaija Saariaho, le compositeur en résidence à Giverny cette année sera Thierry Escaich.

Thierry Escaich est un compositeur, un organiste et un improvisateur extraordinaire. C’est quelqu’un de musicalement complet, curieux et capable de s’émerveiller. J’apprécie beaucoup sa personnalité imaginative et inventive et je suis ravi qu’il soit présent au festival, pour lequel il a composé une « Pièce pour violoncelle et danseur de claquettes » pour vous et Max Pollak.

 

C’est une très belle opportunité de rencontre pour les jeunes artistes.

Je pense qu’il est important que les jeunes soient en contact avec la musique contemporaine.
Certains interprètes ne souhaitent pas jouer cette musique, mais je trouve dommage qu’il y ait un décalage entre les interprètes et les compositeurs, parce que l’art ne s’est pas arrêté au XXe siècle.

 

Pendant ces 11 années de festival les jeunes artistes ont côtoyé des compositeurs remarquables qui leur ont expliqué la genèse de leurs œuvres et leur technique compositionnelle.

Tout à fait. Au festival en 2005 le violoncelliste Amir Eldan a par exemple rencontré Henri Dutilleux : ils ont passé plusieurs jours à travailler en quatuor et à manger ensemble, vous pouvez bien imaginer ce que cette rencontre a pu lui apporter. Ce sont des expériences inoubliables qui marquent la vie d’un musicien.

 

Quels sont vos projets pour la prochaine année ?

Malheureusement le premier projet est celui de survivre à la difficile réalité économique d’aujourd’hui et il dépend également des perspectives de la fondation Terra, qui possède les lieux.
Nous aurons à nouveau une quinzaine de concerts, un compositeur invité et une résidence d’artistes, même si c’est plus complexe qu’organiser un « simple » festival, à cause du logement et de la réflexion autour des formations pour les concerts.
Pour finir, l’essentiel pour nous est de trouver un équilibre entre les exigences de la programmation et celles des institutions locales en termes de public, même si je privilégie toujours la qualité et l’intégrité de la programmation.

 

Quelque chose à rajouter ?

Oui, le festival est un hommage à Raphaël Drouin, un pianiste multiforme et très ouvert qui nous a quitté il y a quelques mois. Les tableaux de la jeune artiste Elena Strauss, exposés au festival, lui sont dédiés et représentent l’Oiseau de feu de Stravinsky et une plage, car son dernier enregistrement a été La mer de Debussy.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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