Le Festival de Royaumont “Musique et Danse”, qui s’est tenu du 9 septembre au 8 octobre 2023, s’est achevé avec des concerts dédiés à la musique vocale.
Depuis sa création, le Festival de Royaumont est un lieu de prédilection de l’art vocal. C’est notamment une des raisons — pas la seule, bien sûr — de l’attractivité qu’il exerce sur les mélomanes franciliens …et sur tous les autres.
Mais quand ce Festival ne craint pas de programmer une oeuvre telle que “La Belle Maguelone” de Johannes Brahms, il ne reste plus aucune place disponible pour écouter, et voir, ce chef d’oeuvre absolu du compositeur allemand. On évoque effectivement souvent son existence, mais peu de gens le connaissent réellement.
Ce monument, rarement joué, est une oeuvre inclassable, qui tient du cycle de mélodies (constitué de 15 lieder), du mélodrame — au sens où on l’entendait au 19ème siècle : poésie déclamée associée au piano — mais aussi de l’opéra de poche.

Son titre exact: “15 Romanzen aus Ludwig Tiecks Magelone”, Opus 33. Les “romances” dont il s’agit, composées de 1861 à 1869, si elles traitent de l’histoire d’un puissant amour, ne sont pas à proprement parler “sentimentales”, mais des récits musicaux en forme de ballades.
Ce “roman musical” retrace l’histoire tumultueuse des amours de Pierre de Provence et de Maguelone, princesse napolitaine.
Il repose sur l’ouvrage du célèbre écrivain et poète romantique allemand Ludwig Tieck. Il s’intitule à l’origine “L’Histoire d’amour de la belle Maguelonne et du Comte Pierre de Provence”, tiré d’un poème français du XIIème siècle, dont l’auteur serait Bernard de Trèves, Chanoine de la Cathédrale de Maguelone, près de Montpellier.
Le récit peut se résumer en quelques mots: Pierre et Maguelone se rencontrent, tombent amoureux l’un de l’autre, décident de vivre ensemble en faisant fi des oppositions familiales. Le destin les sépare… puis, bien des années plus tard, ils se retrouvent …enfin.
Johannes Brahms — dont on se souviendra qu’il nourrissait enfant une véritable passion pour les histoires de chevaliers — déploie ici une musique qui, à la fois, commente et accompagne le récit, mais aussi le transcende. C’est une musique qui épouse les méandres de cette histoire chaotique: tour à tour puissamment épique, intime, tendre, en colère, mélancolique, lumineuse, presque éthérée sur la fin, célébrant les amants enfin réunis.
L’exécution de cette pièce suppose de surmonter un certain nombre de difficultés, ce pourquoi elle est d’ailleurs rarement donnée.

Principalement concerné, le nombre d’interprètes requis pour l’interpréter, puisque la plupart du temps, comme ici, sont en scène pas moins de quatre personnages, réduits à deux chanteurs: un homme et une femme.
Cette histoire de Maguelone requiert également des interprètes en mesure de porter ce récit d’une durée d’environ une heure de musique.
De ce point de vue, la réussite est totale. Au centre, le timbre puissant, lumineux et velouté du baryton Stéphane Degout qui incarne Pierre de Provence et sa capacité à restituer, avec une belle intériorité, les rêves et les doutes de Pierre; de même la mezzo-soprano Marielou Jacquard, tout à tour Maguelone et Sulima, la fille du sultan, amoureuse de Pierre, qui interprète ses personnages avec finesse et délicatesse.

Ils sont accompagnés par le très talentueux pianiste Alain Planès, résolument impliqué dans ce drame épique dont il est l’orchestre.
Il faut enfin parler du récitant en la personne du comédien Roger Germser qui déclame avec humour et, quand il le faut, une pointe de tendresse, ce récit à la fois intime et chevaleresque.
Ce texte est le lien nécessaire qui donne tout leur sens aux lieder et fait avancer l’histoire. Roger Germser a choisi le récit magnifiquement élaboré par Elisabeth Germser, d’après le manuscrit anonyme de Cobourg daté de 1453.
Ces quatre interprètes réunis témoignent d’une belle communion d’esprit et de sentiments; ils ont rendu ce concert mémorable, conclu, en bis, par le duo “Die Nonne und der Ritter” (Le Religieuse et le Cavalier) texte d’après Eichendorff, opus 28.

Ce concert était précédé dans l’après-midi d’une “Nuit de la Mélodie et du Lied” faisant la part belle aux jeunes talents lyriques issus de l’Académie Orsay-Royaumont.
On aura relevé l’originalité des choix des œuvres proposées. A côté des “valeurs sûres” de Debussy ou Schubert, ont été interprétées, parfois de manière très convaincante, des mélodies d’Henry Sauguet, Albert Roussel, Georges Enesco, Zemlinsky, Hugo Wolf. Choix audacieux et judicieux pour de jeunes chanteurs ambitieux.
Il ne faut pas oublier que les pianistes ont toute leur part: Dylan Perez et Anne-Louise Bourion ont été remarquables.
Côté chant, c’est le baryton-basse Adrien Fournaison qui a été de loin le plus impressionnant.
Festival de Royaumont 2023
Samedi 7 octobre 2023
20h Réfectoire des moines
Brahms :”La Belle Maguelone”
Stéphane Degout Baryton
Marielou Jacquard Mezzo-Soprano
Alain Planès piano
Roger Germser comédien
17 h Réfectoire des convers
“Nuit de la mélodie et du Lied”
Duos de l’Académie Orsay-Royaumont
Cyrielle Ndjiki Nya soprano & Kaoli Ono piano
Brenda Poupard mezzo-soprano & Anne-Louise Bourion
Dan D’Souza baryton & Dylan Perez
Adrien Fournaison baryton-basse & Natallia Yeliseyeva piano
Œuvres de Claude Debussy, Franz Schubert, Henry Sauguet, Francis Poulenc,
Camille Saint-Saëns, Gabriel Fauré, Franz Liszt, Hans Gal, Albert Roussel, George Enesco,
Alexander von Zemlinsky.