Les 150 ans de la naissance de Louis Vierne. (1/3). Louis Vierne est né en 1870. Nous connaissons bien l’organiste célèbre de Notre-Dame de Paris, entré dans la légende par sa mort singulière aux claviers de son orgue en plein concert, devant des milliers de personnes. Mais avons-nous une idée exacte de la portée de sa production musicale qui, bien au-delà de la musique pour orgue admirablement servie par les organistes du monde entier et nombre d’enregistrements, laisse admiratif au nombre de chefs-d’œuvre qu’elle recèle, particulièrement de musique de chambre, mais aussi ceux moins connus pour orchestre et pour la voix ?
Franck Besingrand, auteur d’une biographie parue chez Bleu nuit éditeur, essaie d’y apporter une réponse, en nous faisant découvrir l’homme et le musicien…
Au fil des décennies, beaucoup de choses ont été dites ou écrites sur Vierne, parfois avec un certain parti-pris d’entretenir une image d’Epinal : celle du musicien romantique et voué à quelque sort difficile, fondée – non sans raison – sur une destinée par bien des points singulière, un peu hors norme. Au-delà des points de vue esthétiques, des goûts de chacun, la musique de Louis Vierne ne peut laisser indifférent. Qu’importent quelques excès de pathos, de dramatisme, de formalisme, un climat trop sombre, bref tout ce qui fait la signature même du musicien ! Car on ne peut discuter ou nier la sincérité de son message, de son engagement et la force de son œuvre.
Le destin singulier de Louis Vierne apparaît comme transfiguré par sa musique, le plus souvent sombre et fiévreuse (Symphonie pour orchestre, Les Djinns, Spleens et détresses, l’extraordinaire Quintette pour piano et cordes), mais également lumineuse ou exaltante de force et de vie (Suite Bourguignonne pour piano, Première Symphonie pour orgue, somptueuse Messe Solennelle).



« Des affections obscures de l’âme »
Nul mieux que Vierne n’a su dépeindre « ces affections obscures et ténues de l’âme », évoquées par le poète parnassien Sully Prudhomme, si familier à son univers.
L’une de ses qualités humaines réside dans la force de son tempérament et de son engagement. Son élève Joseph Bonnet sut en témoigner dans un numéro du Monde musical (1937) : « À tous ses malheurs, il opposa une force d’âme et une énergie invincibles… »
Mais il trébucha parfois sous le poids des épreuves jalonnant sa vie – souvent avec quelque excès du mauvais sort -, arrivant à se relever par la force de cette musique, livrée souvent comme un antidote au désespoir !



Louis Vierne, une personnalité hors du commun
Ce qui nous intéresse de prime abord chez Vierne, c’est l’homme : on l’a toujours décrit très intelligent, humaniste, érudit : « Sa conversation était un éblouissement », précise Maurice Duruflé, éminent disciple qui aurait dû lui succéder à l’orgue de Notre-Dame. Également il se révéla remarquable pédagogue, qualifié de « Maître éducateur » par Henri Doyen, autre disciple.
J’en étais arrivé à croire qu’avec de la volonté, de l’endurance, il m’était possible d’assigner un but élevé à mon existence…
Il manqua rarement de cette énergie, de cette combativité et de cette opiniâtreté, lui permettant de traverser une enfance maladive (quasi cécité conjuguée à une hypersensibilité qu’il qualifiait de « maladive »), de surmonter les neuf années d’études cloisonnées à l’Institut de Jeunes Aveugles de Paris, enfin de gravir les échelons au Conservatoire, avec l’obtention du Premier Prix d’orgue en 1894.
Ce parcours, il l’exprime très bien : « J’en étais arrivé à croire qu’avec de la volonté, de l’endurance, il m’était possible d’assigner un but élevé à mon existence… » (Mes Souvenirs).
Caractère entier, assez susceptible, instable dans ses jugements mais ne tolérant pas la demi-mesure, Vierne reste exigeant, souvent sans concession pour ce qui lui paraissait contraire à son art.
Si ses reparties percutantes, amusantes ou féroces, témoignent de la largeur de ses points de vue (non départis de cet humour parfois caustique se retrouvant dans les Scherzos des Symphonies pour orgue), sa farouche indépendance d’esprit et ses sautes d’humeur – « qu’il ne fallait pas prendre au pied de la lettre », selon son élève Henri Gagnebin – restent un trait dominant de sa nature.
Des joies aux épreuves
Vierne connut des joies immenses, comme celle prévalant à sa nomination comme organiste de Notre-Dame de Paris, suprême honneur dont il tira reconnaissance et succès tout en sachant préserver son intégrité artistique et son sens inné des valeurs. Egalement, il embrassa très vite une immense carrière d’organiste et de compositeur reconnu par ses pairs, tels Fauré, d’Indy, Debussy ou Ravel.
Mais il vécut aussi de multiples épreuves : physiques, morales, des deuils cruels, des abandons et trahisons, sans oublier les revers de jalousies et de rivalités. Il a pu et a su – inconsciemment peut-être, par les méandres de son caractère – alimenter les conflits ou mal les contrer, car selon Bernard Gavoty : « Il lui arrivait de se tromper gravement, de mal faire et même de faire du mal ! »
Tout se paye… Cher, très cher, trop cher sans doute. Le succès vient trop tard, l’amour s’en va trop tôt, le bonheur ne vient jamais…



Alors ne soyons pas surpris de le sentir amer, au soir de sa vie, se retirant en lui-même :
« Tout se paye… Cher, très cher, trop cher sans doute. Le succès vient trop tard, l’amour s’en va trop tôt, le bonheur ne vient jamais… Personnellement il m’arrive de rire tout bas de la réponse que me font ceux qui me trouvent dédommagé de ma détresse d’enfant, par le don de la musique. » (Mes Mémoires)
Retrouvez nos épisodes :
Louis Vierne, un idéal artistique élevé (2/3)
Louis Vierne, une oeuvre à découvrir (3/3)


