Maria Stuarda © Alain Hanel / Opéra de Monte-Carlo
Maria Stuarda © Alain Hanel / Opéra de Monte-Carlo

Victime du bel canto : Maria Stuarda à Monaco

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Ce dimanche 11 décembre l’Opéra de Monte-Carlo a donné une version concertante de Maria Stuarda de Donizetti sous le bâton d’Antonino Fogliani dans la salle Yakov Kreizberg de l’Auditorium Rainier III.  Le rôle-titre est confié à la soprano française Annick Massis et celui d’Elisabetta à la mezzo-soprano italienne Laura Polverelli.

 

Joyaux du répertoire belcantiste romantique, ce 43e opéra du très prolifique Gaetano Donizetti met en scène deux reines (et cousines) rivales du XVIe siècle : Elisabeth I d’Angleterre et Marie Stuart.  Avec l’aide de son jeune librettiste Giuseppe Baldari (1817-1861), Donizetti adapte en 1834 la tragédie du même nom de Friedrich Schiller qu’il venait de voir en traduction italienne à Milan.  Se basant sur la réelle rivalité politique entre ces deux reines, Schiller y ajoute une rivalité amoureuse, ainsi qu’une confrontation personnelle des deux femmes (qui n’a jamais eu lieu en réalité).  Il y avait donc tous les ingrédients pour créer un opéra de divas donnant ample occasion aux deux cantatrices de se mesurer vocalement.

Cependant, si l’enjeu de cet opéra est de montrer le combat que se livrent les deux reines, elles ne sont en présence que pendant une seule scène, celle des injures de l’acte deux, où Maria traite sa cousine de « Figlia impura di Bolena […] Meretrice indigna, oscena » (fille impure de Bolena… Catin indigne et obscène).  C’est l’une des plus célèbres disputes de la scène lyrique, si vraisemblable dans son hostilité débridée qu’elle conduisit les premières interprètes de l’opéra  à en venir aux mains lors d’une répétition en 1834 !  Pour le reste Elisabetta et Maria se livrent combat chacune de son côté dans une série de numéros destinés à valoriser soit l’une, soit l’autre des protagonistes. Maria sera exécutée à l’issue d’une longue et émouvante scène de confession, dans laquelle la cantatrice a l’occasion de déployer toutes ses prouesses techniques.

Cet opéra se prête parfaitement à une version concertante car il captive non par l’action, presque inexistante, mais par la psychologie des personnages. Cependant, pour être convaincant il demande que les chanteurs s’impliquent dans le jeu dramatique au lieu d’avoir les yeux rivés sur la partition. Laura Povorelli dans le rôle d’Elisabetta a bien compris ce défi et incarne, plutôt que simplement chante, son rôle avec émotion.  Privilégiant la détresse et le besoin d’amour de la souveraine anglaise, elle nous la montre opprimée par le regard de ses sujets (le chœur) et suivants (Talbot, Cecil et Leicester). Ses envolées autoritaires semblent donc motivées non par un caractère dominateur, mais par sa vulnérabilité.

Le ténor Francesco Demuro dans le rôle de Leicester se prête lui aussi au jeu de l’interprétation dramatique. Objet amoureux d’Elisabetta, il est incapable de cacher à Elisabetta qu’il lui préfère sa rivale Maria Stuarda (qui, elle, ne semble pas se soucier de cet amoureux transi), ce qui fait de lui un héros vulnérable, comme Elisabetta. Demuro chante avec beaucoup d’expression, même si à cause de l’acoustique trop sèche de la salle sa voix a parfois un son désagréablement métallique.

La véritable victime de cet opéra aurait bien sûr dû être Maria Stuarda, livrée au pouvoir arbitraire d’Elisabetta.  Cependant, la soprano française Annick Massis à qui ce rôle est confié ne souscrit pas au jeu dramatique des chanteurs précités, et sa gestuelle révèle peu de choses sur la psychologie de son personnage.  Par ailleurs son chant manque de spontanéité et suit d’un peu trop près les formules toutes faites. Elle se sert presque toujours d’un vibrato rapide et invariable, contrairement à Laura Povorelli, qui l’utilise comme outil expressif.

Les autres rôles secondaires sont chantés par la mezzo-soprano Karine Ohanyan (Anna Kennedy), la basse In-Sung Sim (Giorgio Talbot, Comte De Shrewsbury), et le baryton Fabio Maria Capitanucci (Lord Guglielmo Cecil).

L’un des avantages d’une version concertante est de pouvoir mieux voir et entendre l’orchestre en raison de son positionnement sur la scène. Cet avantage peut devenir un inconvénient si le chef d’orchestre n’arrive pas équilibrer les instrumentistes, le chœur, et les solistes, car les voix individuelles risquent d’être couvertes, comme c’était parfois le cas pour le baryton Fabio Maria Capitanucci. En général, le chef Antonino Fogliani est attentif à ce défi, et dirige les musiciens et choristes avec brio, sachant précisément où faire passer l’orchestre au premier plan—par exemple pour mettre en évidence la brillance des cuivres—sans obliger les chanteurs de forcer trop sur leur voix.

Richard Wagner avait décrié les excès de l’opéra bel canto, déplorant que le public se concentrait uniquement sur le chant (« si un sol ou un la bémol sortira avec une belle rondeur ») plutôt que sur le drame. Une version concertante devient encore plus vulnérable à ce genre de critique, surtout si les chanteurs ne s’investissent pas tous  dans le jeu dramatique. Pour cette raison, cette Maria Stuarda était quelque peu décevante.

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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