L’un des violonistes français les plus appréciés de sa génération fait sa mue, ajoutant la pédagogie à son activité de concertiste. Le partage musical passe-t-il, au bout du compte, toujours par l’enseignement ? Nicolas Dautricourt revient avec nous sur son parcours et son approche de la musique.
Nicolas Dautricourt, comment s’est faite votre formation ?
J’en ai beaucoup de bons souvenirs… J’ai été formé au conservatoire régional de Boulogne-Billancourt puis au CNSMDP (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris) avec d’excellents professeurs tels que Jean-Jacques Kantorow pour le violon, Jean Mouillère pour la musique de chambre ou encore Isabelle Duha pour l’écriture… puis plus tard j’ai aussi étudié auprès de Philip Hirschhorn et Miriam Fried… Ils avaient des qualités très différentes et des personnalités riches. J’ai le sentiment d’avoir pioché des éléments différents chez les uns et chez les autres pour faire mon propre chemin. Mais celui qui a été déclencheur dans mon parcours est certainement Tibor Varga. Je devais avoir 10 ou 11 ans et il assistait à un petit concours auquel je participais. Dès lors, il m’a pris sous son aile, m’a embarqué dans des stages à Sion et ailleurs et m’a donné l’envie de faire ce métier…
Tout est allé, somme toute, assez vite…
Ah non, ne croyez pas cela ! On ne se construit pas d’un trait ou de façon linéaire… enfin pas moi en tout cas ! Vers 25 ans par exemple, j’ai eu une période de perte de vitesse violonistique et morale… Je n’y étais plus, je n’avais plus envie, j’avais l’impression de tourner en rond, je me sentais incapable d’avancer alors que j’allais au festival de Ravinia près de Chicago pour un stage… et là j’ai rencontré Miriam Fried… Ce fut une rencontre formidable et décisive pour moi. Elle m’a redonné confiance, et je me suis remis à travailler, librement, renforçant mes structures violonistiques et acquérant ainsi une confiance sur laquelle je m’appuie encore aujourd’hui.
Quel est votre répertoire de prédilection ?
J’aime beaucoup de choses en définitive, mais je m’attache à des œuvres spécifiques plutôt qu’à tel ou tel compositeur, style ou période… Une seule exception : Bach. Bach est au-dessus de tout pour moi. Je crois que je ne m’en lasserai jamais. Sa musique est mon phare, ma boussole, il est celui que j’emporterais sur une île déserte ! Sa musique m’émeut à chaque fois ! C’est la seule qui continue de vibrer en moi longtemps après le concert comme une onde d’émotion infinie…. Je ne cesse d’être surpris et émerveillé par la beauté et l’intelligence de son écriture.
Bach est au-dessus de tout pour moi.
Pourtant ce n’est pas celui que vous avez enregistré…
De façon générale, je ne vois pas l’intérêt d’enregistrer des oeuvres qui ont déjà de nombreuses et excellentes versions discographiques, à moins d’apporter quelque chose de neuf par rapport à ces versions existantes… mais à un moment donné, ça n’apporte plus grand chose.
En ce qui me concerne, les enregistrements sont le fruit de rencontres humaines et artistiques, qui ont parfois la magie de produire une effervescence, une envie commune autour d’un programme… C’est comme ça que j’ai enregistré une intégrale Sibelius, sur un programme plutôt méconnu et dans une relation artistique intense … Puis il y a des projets complètement uniques comme l’album Porgy and Bess Revisited, avec des compositions originales et un univers qui ne ressemble à aucun autre.
Vous y balancez volontiers entre l’univers classique et le jazz…
C’est vrai. Avec le temps qui passe, j’ai de plus en plus envie d’imprimer quelque chose de personnel, c’est vrai que le jazz et les musiques improvisées permettent cela. C’est un peu le même principe pour notre album West Side Story avec Dimitri Saroglou dans lequel nous avons chacun réalisé des arrangements. Il y aussi des morceaux originaux et des improvisations sur des thèmes connus… Mon violon et moi nous y exprimons sans retenue (rires).
Vous parlez de votre violon comme d’une personne, un ami ?
Oui, c’est plus que cela même ! J’ai développé une relation très particulière avec ce violon (sourire) Je suis en osmose totale avec lui… Ce n’est pourtant pas le mien ! C’est un prêt de Bernard Magrez, un être d’exception, envers qui je suis reconnaissant chaque jour de me l’avoir confié, depuis 2014 maintenant. Il s’agit d’un magnifique instrument d’Antonio Stradivarius de 1713, le « Château Fombrauge » … Ce violon a littéralement changé ma vie, dans ma façon de jouer, mon approche du son et le regard des autres aussi…
Comment avez-vous vécu cette année 2020 ?
Cela faisait 25 ans que j’étais continuellement sur scène, et même s’il n’y avait pas de lassitude, je m’étais installé dans une certaine routine. Cet arrêt brutal m’a fait réaliser que j’étais aussi prêt à faire d’autres choses… Mais je mesure aussi la chance qui est la mienne d’être artiste. Certes, il y a les aléas, les annulations, les doutes … mais c’est un monde d’une richesse inouïe, dans laquelle vous pouvez plonger à l’infini… et puis professionnellement, j’ai la conviction que nous ne sommes pas remplaçables par des machine, ou une quelconque intelligence artificielle … et ce frisson, cette magie avec le public, ça ne se remplace pas…

A quoi ressemble votre concert idéal ?
J’aime quand il y a une interaction avec le public, une interaction musicale et verbale… En fait j’aime bien parler au public, sentir leur réaction… j’aime l’aspect convivial du concert, de l’instant où l’on entre dans la salle, le léger brouhaha du public qui s’installe, les regards, les rires, le temps suspendu du concert puis l’ambiance légèrement euphorique de l’après-concert… Pour moi c’est un tout, ce n’est pas que la qualité de l’interprétation sur scène, mais une convivialité générale, presque une connivence entre inconnus réunis pour la même musique qui donne l’impression que même les silences sont habités et que nous sommes sur une onde commune.
Quels sont vos projets pour 2021 ?
Il y a un certain nombre de projets sur scène en attente, et en studio… Enesco et Elgar sont les deux compositeurs auxquels je vais me consacrer assidûment…
Et puis la nouvelle étape importante pour moi est celle de l’enseignement. Jusqu’ici je m’étais concentré sur mon activité de concertiste et cette année j’aurai l’honneur de prendre, au conservatoire à rayonnement régional, la succession d’Alexandre Brussilovski, un violoniste d’exception et un ami très cher.
[…] j’espère contribuer à ce que ces jeunes se développent au meilleur de leur potentiel, avec leur propre façon d’être.
Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes violonistes ?
Cocteau disait « ce que te reprochent les hommes, cultive-le parce que c’est toi »… J’aime bien cette idée de développer sa singularité et c’est ce que je souhaite encourager chez les étudiants. Pour m’être développé non pas au travers d’un professeur/mentor mais en juxtaposant plusieurs regards, plusieurs visions du violon, je sais qu’il y a différentes façons de construire sa personnalité artistique ; j’espère contribuer à ce que ces jeunes se développent au meilleur de leur potentiel, avec leur propre façon d’être. J’ai appris aussi qu’il faut faire confiance au temps, ne pas se laisser détourner par un « tu es trop vieux, ce défaut est insurmontable» , non, cela vaut la peine de persévérer…. J’espère leur apporter la confiance nécessaire à leur croissance musicale et comme disait Henri Michaux : « Ne désespérez jamais. Laissez infuser davantage ! ».
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