Allex Aguilera
Allex Aguilera © OMC

Nouvelle production d’Otello à Monte-Carlo : conversation avec Allex Aguilera

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L’Opéra de Monte-Carlo confie sa nouvelle production d’Otello de Verdi au jeune metteur en scène brésilien-espagnol Allex Aguilera, qui explique son approche aux lecteurs de Classicagenda.

 

Vous travaillerez avec des chanteurs qui ont déjà souvent chanté Otello ; comment vous y prenez-vous pour arriver à une nouvelle interprétation avec eux ?

C’est difficile de remettre à plat une interprétation avec des chanteurs qui sont habitués à chanter un rôle parce qu’ils l’ont déjà dans le corps, dans la voix. Je préfère être dans l’échange avec eux ; c’est-à-dire, leur présenter ma vision de leur rôle et écouter ce qu’eux ont à m’en dire. Ensuite, on arrive à un accord ; on fait une sorte de mélange. C’est une grande chance d’avoir déjà travaillé avec certains chanteurs, car je sais ce qu’ils peuvent donner sur scène et ce que je peux demander d’eux. En général, les chanteurs n’insistent pas pour chanter leur rôle comme avant. Justement parce qu’ils savent leur rôle sur le bout des doigts, ils sont très ouverts à comprendre quelle est mon idée en tant que metteur en scène. S’ils « achètent » mon idée, mon travail sera facile et fluide. Ce n’est pas toujours le cas, mais dans cette production c’est facile. J’ai tout de suite vu la fraîcheur et la souplesse de Gregory Kunde (Otello), Maria Agresta (Desdemona) et Georges Petean (Iago).

Qu’est-ce qui vous parle dans cet opéra ?

Pour moi Otello, c’est l’Everest de tous les opéras. Tout est là, tout y est dit. En tant que metteur en scène on n’a qu’à guider les chanteurs pour qu’ils rendent ce qu’il y a dans l’opéra. Je ne suis pas de ces metteurs en scène qui transforment le livret, le modernisent pour être original, pour flatter leur ego. Mon point de départ c’est de me mettre dans la position d’un auditeur qui voit Otello pour la première fois ; il faut qu’il comprenne l’histoire et ses enjeux sans trop de difficulté.  Ensuite j’ai, bien sûr, mon idée sur l’opéra. Dans Otello, l’être humain est révélé dans toute son humanité, y compris ses passions les plus basses. Il y a beaucoup de violence dans Otello, entre autres de la violence domestique — de la violence physique autant que psychologique. Dans le troisième acte, par exemple, Otello, sous l’emprise pernicieuse de Iago, insulte violemment Desdemona, la traitant de tous les noms, et elle ne comprend pas son soudain accès de rage car elle est innocente. Pour montrer comment Otello en vient à cela, je creuse dans sa psychologie.

Maria Agresta (Desdemona)
Maria Agresta (Desdemona) © site officiel Maria Agresta

Votre Otello sera-t-il traditionnel ou contemporain ?  Comment décidez-vous s’il faut changer la période historique de l’intrigue ?

Il y a des opéras qui se prêtent mieux à la transposition historique et d’autres moins bien. Pour moi, on pourrait transposer Otello dans n’importe quelle époque car c’est un drame intemporel, universel. Notre choix, pour les costumes et la scénographie, a été de ne pas situer clairement l’opéra dans une période historique spécifique, pour permettre au public de s’identifier avec le drame. Cependant j’ai trouvé important qu’Otello soit représenté comme un Maure, un noir. Je sais qu’aujourd’hui c’est très controversé de faire grimer un acteur/chanteur comme un noir — à juste titre, les « black-face » ont fait scandale aux Etats-Unis. Pourtant quand j’ai discuté cet aspect du rôle avec Gregory Kunde, il y a déjà un an de cela quand nous travaillions ensemble sur une autre production, nous avons décidé que c’était important de maintenir cette convention, car la race d’Otello, et plus précisément le fait qu’il soit déraciné des siens, explique sa méfiance extrême. Otello est un musulman noir au service de la république de Venise et est chargé de vaincre ses coreligionnaires dans une guerre navale. Dans la première scène de l’opéra il exulte parce qu’il a fait périr un grand nombre de ces musulmans. Donc, depuis le début l’accent est mis sur son déracinement des siens, bien qu’il soit traité par les Vénitiens, notamment par Iago, de Maure sanguinaire aux lèvres épaisses. Cela explique qu’il ne fait confiance à personne, même pas à Desdemona qui lui est entièrement dévouée. Pour son malheur, la seule personne à qui il finit par faire confiance c’est Iago, le traître. Otello n’est pas un opéra raciste, mais c’est un opéra sur le racisme.

 

Quel est le répertoire dont vous vous sentez le plus proche ? 

Maintenant, c’est Otello ! Mon opéra préféré, c’’est toujours l’opéra que je suis en train de préparer. Mais je dois dire, que pour moi Otello c’est vraiment l’opéra de Verdi que j’aime le plus. J’ai toujours voulu le faire, et quand Jean-Louis Grinda, Directeur Artistique de l’Opéra de Monte-Carlo, me l’a proposé, je n’en revenais pas. Mais Otello ce n’est pas facile. Verdi ne voulait plus suivre la vieille formule : air, cabaletta, etc.  Wagner était passé par là et avait indiqué le chemin pour le futur de la musique. Verdi avait été convaincu par « l’art total » que proposait Wagner, un opéra continu, où il n’y a pas de morceaux distincts, pas d’airs. J’aime beaucoup Wagner ; je trouve que les opéras de Wagner laissent aux metteurs en scène beaucoup d’espace pour la création, parce qu’ils ne sont pas temporels.

 

Vous avez assisté plusieurs metteurs en scène dans votre jeunesse.  Lesquels admirez-vous et pourquoi ?

J’ai appris avec tout le monde. J’ai commencé dans le théâtre en lançant les sur-titrages, puis j’ai été régisseur de scène, et ensuite assistant de metteur en scène. J’ai assisté Robert Carsen et Francesca Zambello. De chacun j’ai appris beaucoup de choses. Mais si j’ai un maître, je dirais que c’est Robert Lepage, pour sa façon de travailler avec l’équipe.  Il m’a appris comment parler aux chanteurs, sans s’énerver et pousser des cris. Je discute avec les chanteurs. Je leur explique comment je vois une scène, on caractérise les personnages ensemble, et puis après la géographie ça vient tout seul. Et ça j’ai appris à le faire de Robert Lepage.  Je ne suis jamais aussi heureux que quand je travaille en équipe avec tous les collaborateurs à un opéra : c’est un métier merveilleux.

 


Otello

Dramma per lirico en quatre actes
Musique de Giuseppe Verdi (1813-1901)
Livret intégral d’Arrigo Boito d’après Othello ou le Maure de Venise de William Shakespeare

Nouvelle production

Salle Garnier
Opéra de Monte-Carlo

21 avril 2019 – 15 H 00

24 avril 2019 – 20 H 00 (Gala)

27 avril 2019 – 20 H 00

30 avril 2019 – 20 H 00

Direction musicale
Daniele Callegari
Mise en scène
Allex Aguilera
Décors
Bruno de Lavenère
Costumes
Opéra de Monte-Carlo
Lumières
Laurent Castaingt
Chef de chœur
Stefano Visconti

Otello, un Maure, général de l’armée vénitienne
Gregory Kunde
Jago, enseigne
George Petean
Cassio, capitaine
Ioan Hotea
Roderigo, gentilhomme vénitien
Reinaldo Macias
Lodovico, ambassadeur
In-Sung Sim
Montano, prédécesseur d’Otello
Jean-Marie Delpas
Desdémona, épouse d’Otello
Maria Agresta
Emilia, épouse de Jago
Cristina Damian

Jacqueline Letzter et Robert Adelson, historienne de la littérature et musicologue, sont les auteurs de nombreux livres, dont Ecrire l'opéra au féminin (Symétrie, 2017), Autographes musicaux du XIXe siècle: L’album niçois du Comte de Cessole (Acadèmia Nissarda, 2020) et Erard: a Passion for the Piano (Oxford University Press, 2021). Ils contribuent à des chroniques de concerts dans le midi de la France.

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