L’opéra-comique de Camille Saint-Saëns Phryné était à l’affiche le samedi 11 juin 2022 dans les lieux mêmes de sa création en mai 1893, à l’Opéra Comique de Paris. Après une éclipse de près de 70 ans, cet ouvrage qui connut un immense succès, était donné en version concert (version de 1909) et en coproduction avec le Palazzetto Bru Zane, Centre de musique romantique française.
La foule s’est pressée pour entendre Phryné, l’opéra-comique de Camille Saint-Saëns, preuve de l’intérêt que porte le public mélomane parisien au patrimoine musical français que le Palazzetto Bru Zane s’emploie à faire découvrir et à défendre.
On rappellera que Phryné a été précisément donné dans le cadre du 9ème Festival Palazzetto Bru Zane Paris qui se poursuit jusqu’au 29 juin 2022.
Cette représentation a été accueillie avec grand enthousiasme. On peut comprendre l’engouement qui a entouré cette reprise car, si d’aucuns semblent considérer Phryné dédaigneusement comme une pochade, ce petit bijou d’humour et de fantaisie mérite beaucoup mieux que du mépris. Il fait plaisir à entendre, avant, nous l’espérons, une version scénique.
L’argument de l’ouvrage, sur un livret de Lucien Augé de Lassus, situé dans une Grèce de bande dessinée, tient en quelques mots : l’évocation fantaisiste des aventures de Nicias jeune écervelé amoureux de Phryné -et aimé d’elle-, mais en butte à un oncle moralisateur, l’archonte Dicéphile. Ce dernier est également amoureux de cette même Phryné. Mais égaré par sa concupiscence, surpris de manière compromettante, il devra se résoudre à renoncer à cette dernière et, pour finir, à doter son neveu de la moitié de sa fortune, sous les acclamations du peuple…

Sur ce sujet, Camille Saint-Saëns a brodé une musique transparente et légère, parfois raffinée, et qui n’hésite pas, non sans une certaine délectation, à verser dans la comédie musicale : “Hollywood n’ a rien inventé, tout est déjà là” a pu dire d’ailleurs, à ce propos, le ténor Cyrille Dubois, l’un des remarquables protagonistes de cette renaissance et qui incarne avec saveur le jeune Nicias.

Dans cette oeuvre courte (tout au plus 1h15), quelques duos, en particulier, illustrent à merveille le talent du compositeur. “Des” compositeurs, doit-on dire, car la version de l’oeuvre présentée ce 11 juin est celle de 1909 et comprend des récitatifs composés par un brillant élève de Saint-Saëns, André Messager.
Le plateau de solistes est à l’image d’une lecture renouvelée de ce répertoire, de ce regain d’intérêt pour la musique de Camille Saint-Saëns : il est jeune et talentueux.
La soprano Anne-Catherine Gillet campe avec malice une Phryné enjôleuse et espiègle, le ténor Cyrille Dubois, annoncé souffrant, a tenu toutefois vaillamment son rôle avec finesse et humour. Le baryton Thomas Dolié, est un savoureux Dicéphile doté d’une voix puissante et d’une diction excellente. Il est rejoint sur ce point par le baryton Matthieu Lécroart dans les deux rôles qui lui sont attribués, Agoragine et Le Héraut.

Ne seront pas oubliés Lampito, suivante de Phryné incarnée par Anaïs Constans, et Camille Tresmontant dans le rôle de Cynalopex, interprétant avec beaucoup de justesse et d’entrain leur personnage de “second rôle”.
On retiendra enfin les interventions du Choeur du Concert Spirituel, à la fois toniques et légères, tout à fait dans l’esprit de cette partition qui est de privilégier le plaisir musical et la comédie, sans jamais oublier la fantaisie.
L’orchestration de Saint-Saëns est dense, sans s’éloigner de son sujet. Elle est ici magnifiquement servie par un Orchestre national d’Île-de-France en pleine forme, visiblement heureux de participer à cette belle renaissance.
Que dire, enfin, du rôle – décisif – du chef d’orchestre Hervé Niquet, sans lequel ce genre d’entreprise ne pourrait réellement prospérer ? Il a une connaissance intime de ce répertoire et a, récemment, enregistré cette oeuvre pour Bru Zane avec l’orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie.
Cette publication est d’ailleurs disponible dans la collection “Opéra Français” Bru Zane Label (2022) (enregistrement dont il a été rendu compte sur Classicagenda).

Hervé Niquet a su transmettre tout ce qu’il y a de poésie, de légèreté et d’humour dans cette partition qui, nous l’espérons une fois de plus, pourra être bientôt reprise en version scénique.