Samedi 31 mars, le Printemps des Arts de Monte-Carlo faisait la part belle à la musique américaine lors d’une soirée en compagnie de deux oeuvres majeures de Charles Ives, le génial compositeur à l’inspiration foisonnante. Le temps fort fut l’interprétation de sa Concord Sonata à l’Opéra de Monte-Carlo par le brillant pianiste Bertrand Chamayou.
Fil rouge de cette édition 2018, le programme s’ouvre par une pièce de Luciano Berio – l’italien séjourna d’ailleurs plusieurs années aux Etats-Unis – Sequenza IV, créée en 1966 à Saint Louis dans le Missouri. Notons que la composition des XIV Sequenze de Berio, déclinés sur divers instruments, s’étala tout de même sur 40 ans ! Le pianiste Julien Blanc interprète cette oeuvre avec brio, répondant ainsi à la virtuosité et à la concentration requises pour sublimer une telle pièce. Une autre Sequenza, pour trombone, était proposée le lendemain.
Programmé en suivant, Three Quarter-Tone Pieces pour deux pianos de Charles Ives se distingue par une grande singularité, les deux instruments étant accordés avec un quart de ton de différence. Bertrand Chamayou et Tamara Stefanovich nous révèlent la poésie d’une écriture pourtant déroutante en raison d’une sonorité paraissant instable et incongrue. Au fil de la pièce on s’habitue peu à peu à cette harmonie qui donnait au départ l’illusion de pianos désaccordés. En tout cas, l’alchimie entre les deux interprètes opère tout au long de l’oeuvre et nous laisse admiratif face à cette interprétation si raffinée.



Oeuvre majeure de Charles Ives, la Sonate pour piano n°2 ou Concord Sonata, pour piano seul, constitue un défi technique à elle seule. D’une durée de 45 min, les quatre mouvements portent le nom de philosophes transcendantalistes américains : Ralph Waldo Emerson, Amos Bronson Alcott, Nathaniel Hawthorne, Henry David Thoreau ; Ives se sentant très proche de ce courant de pensée. “Concord” est le nom d’un village situé dans le Massachusetts, épicentre du mouvement intellectuel.
Bertrand Chamayou, grâce à une rare intelligence musicale, réussi à nous révéler l’architecture complexe de cette “sonate” pour piano de Ives. Cette dernière, peu conforme à la forme sonate habituelle, est constituée de parties atonales et polytonale, une pièce “patchwork” nourrie des procédés musicaux du XXème siècle, de citations (on retrouve notamment des oeuvres de Beethoven) et de réutilisations de ses propres compositions.
Le pianiste doit garantir l’unité d’une oeuvre revendiquant elle-même une totale liberté musicale. A l’instar de ces épisodes contrastés où des élans fougueux sont subitement interrompus par de sublimes instants aériens.
Preuve d’une certaine originalité dans l’écriture, le 2eme mouvement oblige le pianiste à utiliser la technique du cluster en enfonçant plusieurs touches à la fois à l’aide d’un objet en bois.
Chamayou ne sera pas totalement seul durant cette sonate, deux artistes feront leur apparition (Charles Ives imagine cette configuration comme une option) : l’altiste François Duchesne – membre de l’Orchestre symphonique de Monte-Carlo – exécutera un passage furtif dans le premier mouvement tandis que la flûtiste Christine Crespy interviendra avec éloquence au cours des ultimes mesures.
Une sonate que l’on espère bientôt retrouver au disque sous les doigts du pianiste, tant ce chef d’oeuvre demeure trop peu enregistré à ce jour.
Une soirée surprenante et exigeante musicalement comme le Printemps des Arts de Monte-Carlo, dirigé par le pétillant Marc Monnet, sait proposer chaque année au public.