Aziz Shokhakimov
Aziz Shokhakimov

A Radio France, la révélation Aziz Shokhakimov

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Mercredi 6 mars, Radio France proposait un concert consacré à Chostakovitch dans la grande tradition soviétique, avec le vénérable maître Yuri Temirkanov à la baguette. Celui-ci, souffrant, fut remplacé au pied levé par le brillant jeune chef ouzbek, Aziz Shokhakimov.  Au programme : deux œuvres emblématiques de Chostakovitch, le Concerto pour piano, trompette et orchestre à cordes suivi de sa monumentale Symphonie n°10. Une soirée lumineuse, offerte par l’Orchestre Philharmonique de Radio France sous la baguette d’un jeune chef éblouissant d’énergie.

 

Un concerto délicatement ironique

C’est donc par ce concerto atypique, pour piano, trompette et orchestre à cordes (1933), oeuvre pleine de vie et parsemée de thèmes mémorables, que s’ouvrait le concert. Au piano, l’excellent Andreï Korobeinikov a donné une lecture pleine de tendresse et d’originalité, mettant en lumière la finesse et la délicatesse de l’écriture de Chostakovitch. Plaisantin et vif dans l’Allegretto initial, il était en parfaite symbiose avec l’orchestre et la trompette d’Alexandre Baty, qui lui donnait la réplique. Son deuxième mouvement particulièrement poétique et nostalgique était de toute beauté. Ses mains, qui de loin paraissaient gigantesques, effleuraient les touches dans des pianissimos exquis avant d’engloutir le clavier dans un final circassien aux accords colossaux et aux enchaînements diaboliques.

A ses côtés, le trompettiste Alexandre Baty apportait par sa précision et sa clarté l’ironie bienvenue qui rappelle le poète à la raison, particulièrement dans le dernier mouvement. Final débridé et humoristique où se mêlent le savant et le populaire et dans lequel Chostakovitch multiplie les clins d’œil à Beethoven, Grieg ou encore Haydn.

Dans son élégant costume à col officier noir Baty avait l’allure d’un pasteur, accentuée par la sobriété de ses gestes. Mais chacune de ses interventions tapait juste, de l’ironie grinçante en sourdine dans le premier mouvement à la clarté jubilatoire du final. Pour sûr, Baty est un des grands trompettistes de sa génération. Trompette solo de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, il joue également en soliste avec de grands orchestres et donne des master-classes jusqu’en Corée du Sud, portant loin le rayonnement de la trompette française.

Saluons au passage cette politique discrète menée depuis de nombreuses années par l’Orchestre Philharmonique de Radio France, de placer régulièrement en haut de l’affiche un chef de pupitre de l’orchestre. C’est une occasion de jouer en soliste appréciée par les musiciens et surtout l’opportunité pour le public d’entendre particulièrement ces admirables interprètes… car si l’orchestre est un excellent ensemble, notons qu’il est composé – et c’est plus rare – d’individualités remarquables, de très grande qualité technique et musicale, dont Baty est un parfait exemple.

Derrière les solistes, les cordes de l’Orchestre Philharmonique de Radio France étaient en grande forme, apportant une profondeur lyrique à la vision délicate des solis des deux premiers mouvements. Le chef leur insufflait un élan providentiel et cette première partie fut copieusement applaudie par un public enthousiaste, amenant un bis interprété avec une fougue joyeuse : le final du concerto.

Le chef Aziz Shokhakimov
Le chef Aziz Shokhakimov © DR

Une symphonie incendiaire

Après ce beau succès, le jeune chef Aziz Shokhakimov donna corps à l’intense 10e symphonie. Cette œuvre majeure du XXe siècle, riche et complexe, demande à la fois expérience, maîtrise, conception quasi-architecturale de l’œuvre, finesse et puissance. Et ce mercredi soir à Radio France, Aziz Shokhakimov a embrassé toute l’ampleur de cette symphonie monumentale. Derrière ses rondeurs de poupon et sa tignasse noire, il se révéla un chef éblouissant. Doté d’une autorité naturelle, son geste fut souple, tantôt minimal tantôt exalté, comme dans ce deuxième mouvement Allegro galvanisant, transformé en Scherzo terriblement intense. Au fur et à mesure, il exhortait l’orchestre qui le suivait comme un seul homme jusque dans les tonitruantes profondeurs de l’œuvre. Et dans cet Andante final dont le fameux motif sert de signature à Chostakovitch, qui y insère ses initiales D-S-C-H en allemand soit ré – mi bémol – do – si bécarre.

Entre le chef et l’orchestre, le courant passe visiblement. Des ensembles en parfaite harmonie aux solos admirables, l’orchestre donne toute sa mesure sous la baguette d’Aziz Shokhakimov ! Quelle révélation pour le public, car si l’Ouzbek n’est pas un inconnu outre-Rhin, c’était sa première parisienne. Né à Tachkent en 1988, il donnait son premier concert à l’âge de 13 ans en dirigeant le Concerto n°1 de Liszt et la 5e symphonie de Beethoven ! A 21 ans, il remportait le deuxième prix du concours de direction Gustav Mahler. Sa carrière était lancée, Dresde, Houston, Bologne, Monaco, Londres, Düsseldorf, bien d’autres encore… et maintenant Paris.

La soirée s’acheva sous un tonnerre d’applaudissements, et clairement Aziz Shokhakimov aura été la révélation de la soirée. Nul doute qu’on le retrouvera dans les prochaines années. À suivre…

 

Concert diffusé le 11 avril 2019 sur France Musique

 


La petite histoire de la 10ème symphonie de Chostakovitch

Chostakovitch la compose pendant les années où Andreï Jdanov était au pouvoir. Chef de la propagande puis responsable de la persécution de nombreux artistes écrivains et compositeurs, il traquait férocement la moindre trace de « formalisme petit bourgeois » et « cosmopolitisme ». Avec ces critères flous, personne n’était à l’abri de la censure. Chostakovitch d’ailleurs en fit les frais : dénoncé et déchu de son poste au Conservatoire de Moscou, nombre de ses œuvres furent mises à l’index. Mais en 1953, Staline meurt (le même jour que Prokofiev) et Chostakovitch avec d’autres artistes, se dresse pour revendiquer une plus grande liberté artistique notamment dans un article qu’il rédige dans la Pravda fin 1953. Quinze jours plus tard, il donnait la première représentation de la 10e symphonie à Leningrad. Il n’en fallu pas plus au public pour déceler dans l’œuvre un règlement de compte personnel avec Staline. Le succès fut fulgurant mais les critiques, fidèles à la doxa Jdanovienne, froncèrent des sourcils, trouvant cette dernière création de Chostakovitch trop pessimiste et donc contraire à l’esprit de la société socialiste qui marche (forcément) vers un avenir radieux. Mais devant le succès général, les critiques durent faire machine arrière et pour ne pas perdre la face, qualifièrent cette symphonie de « tragédie optimiste » !

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