André Jolivet est l’une des figures marquantes de la musique française du XXe siècle. Compositeur (et chef d’orchestre) non conformiste, prolifique et extrêmement varié, il écrivait pour tous dans un but conjuguant humanisme et universalisme par la recherche du sens originel de la musique, selon sa formulation : « l’expression magique et incantatoire de la religiosité des groupes humains ». Sa musique dans ses influences et ses aspirations, est une expression du XXe siècle français et les plus grands musiciens de son temps ont ardemment interprété son œuvre. Qu’en est-il aujourd’hui ? Christine Jolivet, sa fille, évoque pour nous, ce qu’a été et est encore la préservation de la mémoire de son père.
Christine Jolivet, vous êtes ayant droit d’André Jolivet ; vous observez depuis plusieurs décennies l’évolution de la vie musicale française et plus précisément celle de la musique contemporaine et moderne. Pourriez-vous tout d’abord nous rappeler le rôle d’un ayant droit ?
L’ayant droit que je suis, a acquis des droits sur l’œuvre du compositeur qu’était mon père. C’est au début des années 1990 que j’ai été mise devant une situation particulière : détenir – en partie – un patrimoine artistique constitué de l’ensemble des manuscrits des œuvres cataloguées ou non et d’archives ; archives à caractère tant privé que professionnel, comprenant articles de presse, très nombreuses correspondances, écrits, textes de conférences, photos et bien sûr bibliothèque aussi musicale que littéraire.
Depuis, j’ai reçu la responsabilité morale sur son œuvre. Il m’incombe de veiller à son bon usage. Ce qui implique qu’en cas de sollicitation, je donne ou non mon accord pour l’utilisation d’une œuvre dans un spectacle, un film ou une transcription…
Un exemple récent : une musicologue argentine écrit un livre sur une grande harpiste argentine, elle m’a sollicitée pour la publication de lettres écrites par mon père, elle me les a envoyées, j’en ai pris connaissance, et j’ai donné mon accord pour leur publication. Mais cela peut concerner aussi l’arrangement d’œuvres, ou une orchestration par exemple. Ainsi j’ai donné l’autorisation d’orchestrer la Sérénade pour hautbois. Jusqu’à ce jour, je ne me souviens pas d’avoir eu à refuser une demande ; disons que je n’ai pas rencontré de problème…

Comment vous organisez-vous concrètement pour défendre la mémoire d’un compositeur ?
Il existe, depuis le décès de mon père fin 1974, une association intitulée « Les amis d’André Jolivet » ; j’y suis impliquée depuis sa création, car j’ai été très tôt engagée dans la vie musicale de mon père. Ma mère, dépositaire du droit moral jusqu’à sa mort, en était présidente d’honneur. Ce n’est que bien plus tard que j’en ai assuré la présidence.
Le but de cette association est « de maintenir la permanence du souvenir et de l’œuvre d’André Jolivet ». C’est à elle que l’on s’adresse le plus souvent. En son sein, nous sommes attentifs à l’actualité d’André Jolivet, du moins celle dont nous avons connaissance et à laquelle nous essayons de donner une certaine publicité. L’association apporte sa contribution de différentes manières, lors de conférences, des participations à des colloques, ou comme récemment, au lancement du livre « André Jolivet : Music, Art and Literature » édité par Caroline Rae, qui a eu lieu à Londres.
L’association donne également des prix. Ainsi, il y a eu pendant plusieurs années, un prix de composition à Montreuil. Et depuis 2010, un Prix André Jolivet est attribué au Concours International de Piano d’Orléans. Mais c’est à titre personnel que je donne des bourses à la Fondation de Royaumont, dans le cadre de l’Académie Voix Nouvelles.
Quel rôle jouent les pouvoirs publics dans la préservation de la mémoire moderne ?
Je ne sais pas si c’est comme ça qu’il faut poser la question, car les institutions publiques ne font pas grand chose, en tout cas, vu au travers du prisme de la mémoire d’André Jolivet. Ainsi je trouve curieux que Jolivet soit quasiment absent des programmations des orchestres symphoniques, particulièrement en France. Il y a pourtant matière ! 12 concertos, 3 symphonies, ou les Les Danses Rituelles que Boulez a dirigées lors du centenaire Jolivet à la Cité de la Musique fin 2005…
En revanche, un des liens de transmission important sont les professeurs de conservatoires, qui font un travail formidable en faisant découvrir à leurs élèves différents compositeurs, différents styles et leur donnent une ouverture sur le XXe siècle …. C’est essentiellement par eux que la jeune génération découvre ce patrimoine musical du XXe siècle en général, et Jolivet en particulier.

Parlant de la jeune génération, comment André Jolivet est-il perçu aujourd’hui ?
Je remarque qu’il y a une génération, celle des 35 à 45 ans environ, qui manifeste un intérêt grandissant pour l’œuvre de Jolivet … surtout chez les instrumentistes à vents, et ce tant au niveau national qu’au niveau mondial ! Il y a d’ailleurs un album d’œuvres pour flûte de Jolivet par Hélène Boulègue chez Naxos qui sort en ce moment, mais on le retrouve aussi dans le dernier album des Vents Français, et bien d’autres encore, je ne peux pas tous les citer !
Le flûtiste Mario Caroli est l’un des initiateurs de ce mouvement. Mais il y a d’autres instrumentistes à vent et de nombreux pianistes, de Marie-Josèphe Jude à Maroussia Gentet, qui s’intéressent de près à la musique de Jolivet.
Ce sont plutôt les instrumentistes à cordes qui me semblent manquer à l’appel… On m’a souvent dit que la musique de Jolivet était difficile. Pourtant les grands interprètes du temps de Jolivet n’ont jamais été effrayés de jouer sa musique, au contraire ! Jean-Pierre Rampal, Maurice André, Mstislav Rostropovitch, Lili Laskine, André Navarra, Lucette Descaves… tous en ont été de merveilleux interprètes… alors que l’écriture de Jolivet leur était toute nouvelle. Je suis heureuse de voir les plus jeunes se la réapproprier depuis quelques années.
Quels sont les prochains rendez-vous des Amis d’André Jolivet ?
Il y a plusieurs publications, des sorties de CD, un certain nombre de concerts en France et à l’étranger, qu’il serait trop fastidieux de citer, mais mentionnons en 2020 un concert consacré à Jolivet à la Philharmonie de Paris… Et surtout, on commence à prévoir la commémoration du cinquantenaire de sa mort en 2024 !
Pour aller plus loin :
Quelques ouvrages :
André Jolivet , de Lucie Kayas aux éditions Fayard
André Jolivet : Music, Art and Literature édité par Caroline Rae
Le Modèle et l’Invention : Messian et la technique de l’Emprunt par Yves Balmar, Thomas Lacôte, Christopher Murray édition Symétrie
En CD :
André Jolivet Selected Works par Gennady Rozhdesvensky
Jolivet les enregistrements, André Navarra, Erato
André Jolivet, concerto pour piano et 1ere sonate, Pascal Gallet,
Hélène Boulègue, André Jolivet complete works for flûte, Erato
Jolivet, Concerto pour violon, Isabelle Faust, Harmonia Mundi
Jolivet, Martin, José-Daniel Castellon (flûte) et l’orchestre de chambre de Lausanne, éd. Claves
Et surtout, le site www.jolivet.asso.fr