Kun Woo Paik
Kun Woo Paik © Jean-Baptiste Millot

Kun Woo Paik : « Les Nocturnes de Chopin étaient une mission que je devais accomplir un jour »

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Nous avons rencontré le plus parisien de tous les musiciens coréens et le plus coréen de tous les musiciens parisiens, le pianiste Kun Woo Paik. Dans son dernier album consacré à l’intégrale des Nocturnes de Chopin, le pianiste coréen nous dévoile les caractéristiques secrètes des 21 nocturnes. Considérés comme des morceaux de salon, miniatures, petits bijoux, les Nocturnes de Chopin sont souvent sous-estimés quand on pense à ses autres œuvres de virtuose : sonates, ballades, scherzos, polonaises, concertos et ses 2 opus des études. Mais les diverses caractéristiques de ces pièces intimes représentent la vraie vie de Chopin et reflètent la quintessence de l’univers intérieur du compositeur franco-polonais.

 

 

Depuis de nombreuses années vous habitez à Paris, qu’est-ce que cette ville représente pour vous ?

J’ai fait mes études musicales aux Etats-Unis (ndlr : le pianiste était élève de Rosina Lhévinne à la Juilliard School) mais pour la culture c’est à l’Europe que je pensais et surtout à la ville de Paris. J’ai toujours eu une perception de Paris comme carrefour culturel du vieux continent. Je suis sensible à l’art visuel ; les beaux-arts… et notamment le cinéma français, qui m’inspirait beaucoup. J’aimais beaucoup les films « Nouvelle Vague » et à l’époque, Jean-Luc Godard, François Truffaut, Louis Malle, Claude Chabrol… les cinéastes français ont réalisé bien des films qui attiraient mon attention. Dès qu’il y avait une sortie je courais vers le cinéma !

 

Vous êtes LE spécialiste de Maurice Ravel. On parle souvent de votre intégrale des œuvres solo de Ravel que vous avez donnée lors d’un seul concert dans les années 70 à New York. Vous avez parcouru le monde entier avec ce même programme par la suite. Parlez-nous du contexte et de l’atmosphère de ce moment-là.

A cette époque, Ravel était mon compositeur préféré, donc j’étais très curieux de ce compositeur et j’ai voulu apprendre toutes ses œuvres. Chaque pièce est un chef d’œuvre, taillée avec la meilleure délicatesse et avec le plus de soin par le compositeur. L’intégrale des œuvres solo de Ravel nécessite 3 heures environs, il n’y a eu à l’époque aucun pianiste qui avait donné l’intégrale en un seul concert. J’ai hésité ; soit je la joue en 2 concerts, soit je la joue dans un seul concert avec 2 entractes. Finalement j’ai opté pour le dernier, ce qui était un choix pertinent au niveau du parcours d’écoute d’un point de vue de l’auditeur.

J’avais divisé les œuvres en trois parties avec les trois œuvres phares qui peuvent servir de colonnes vertébrales ; « Tombeau de Couperin », « Gaspard de la Nuit », « Miroirs ». Ces trois titres représentent respectivement les trois thématiques « classicisme », « grotesque », « poétique » et permettent de construire trois programmes autour. Cette intégrale de Ravel m’a accompagnée sur les scènes du monde entier. Le public, où que ce soit, suivait le parcours du programme axé sur les trois thèmes avec une attention remarquable.

Les Nocturnes de Chopin par Kun Woo Paik
Les Nocturnes de Chopin par Kun Woo Paik

Les Sonates, les Ballades, les Scherzos, les Polonaises ou les Concertos…  les grandes œuvres nécessitant une virtuosité sont écartées dans votre nouvel album Chopin. Vous avez conçu le programme seulement avec les Nocturnes. Qu’est-ce qui vous a amené vers ce choix ?

Depuis longtemps, les Nocturnes de Chopin étaient une mission que je devais accomplir un jour. Il existe différents aspects et atmosphères dans ces pièces, mais on l’ignore car, mis à part quelques pièces souvent entendues, les Nocturnes sont rarement jouées. C’est le cas des sonates de Beethoven. « Clair de lune », « Appassionata », « Pathétique », « Adieu », ces gros titres n’étant pas tout l’univers de Beethoven, je ressentais un besoin vital de présenter tout ce que Beethoven racontent au travers de ses sonates, j’ai donc joué l’intégrale.

« Beauté », « élégance » et « atmosphère intime », telles sont les images que l’on évoque quand il s’agit des Nocturnes de Chopin. On y ressent toute une vie du compositeur dans les 21 Nocturnes.  Je me demandais « Comment Chopin aurait joué les Nocturnes ?», ce qui était un point initiatique de ce projet d’album.

 

Le tempo pour lequel vous avez opté est plutôt très lent dans l’ensemble de l’album. Quel a été le processus adopté pour trouver une clé d’interprétation ?

Dans « Chopin, vu par ses élèves », les Nocturnes sont les pièces le plus souvent citées par ses élèves pour parler du jeu de leur maître. Contrairement à Franz Liszt, l’autre virtuose contemporain, Chopin avait privilégié les salons parisiens aux grandes scènes. Les Nocturnes qu’il avait joués dans des salons parisiens en présence de ses proches amis sont la quintessence de son répertoire dans un sens où cela représente au mieux la vie intérieure de Chopin. Au cours de ma recherche sur ses 21 Nocturnes pièce par pièce, j’ai découvert qu’il existait diverses atmosphères et images qui expriment différents états d’esprit de l’auteur : sombre tristesse, pathétique, auto-confession, dramatique… même leurs structures sont diverses. C’était une découverte importante pour moi à plusieurs niveaux. Dans les partitions de plus de la moitié de ses Nocturnes, le compositeur indique Lento comme tempo. C’est ce que je voulais mettre en valeur comme clé d’interprétation et exprimer la profondeur de ces pièces. Et c’est dans cette direction que je les ai interprétées.

 

Comment avez-vous pu collaborer avec « les Concerts de Monsieur Croche » ?

Je connais Yves Riesel, celui qui dirige les Concerts de Monsieur Croche depuis de nombreuses années. Il avait travaillé pour la promotion de mon enregistrement de l’Intégrale des Concertos pour piano et orchestre de Serge Prokofiev chez Naxos (l’intégrale avait eu un Diapason d’or). Cet amoureux du piano est un professionnel à qui l’on peut faire entière confiance.

 

Parlez-nous de votre prochain projet. Qui est le prochain compositeur dont vous allez explorer l’univers ?

Il y a tant de compositeurs à explorer et à étudier. Le métier de pianiste consiste à travailler, toute sa vie durant, l’immense répertoire laissé par les compositeurs. Je préfère vous laisser dans la curiosité…(rires)

 

Vous vous produisez surtout en solo ou en concerto avec orchestre. On vous entend rarement en musique de chambre. Avez-vous des projets d’ensemble ?

J’adore la musique de chambre !  J’aurais aimé en faire plus, en revanche un projet d’ensemble nécessite de se réunir souvent pour discuter et pour travailler ensemble, ce qui est difficile quand on est soliste vu le temps restreint de chacun. D’ici l’an 2020, mes projets de concerts sont surtout autour de Beethoven (250eanniversaire du compositeur). Suite à cela, le moment viendra pour le projet de musique de chambre.

 

 

 

Passionnée de musique depuis son plus jeune âge et pianiste accompagnatrice, Marine partage ses émotions au travers de ses chroniques. Elle collabore en tant que rédactrice avec différents médias français et coréens spécialisés dans la musique classique. Diplômée du cursus professionnel « Administrateur / Producteur Projets Musicaux » à l’Université Paris X, Marine est conseillère artistique et développe divers projets artistiques.

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