Jean-Luc Ho
Jean-Luc Ho

Couperin en majesté à l’Abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache

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Existe-t-il un lieu plus authentique pour apprécier la Messe des Paroisses de François Couperin ? L’Abbaye de Saint-Michel-en-Thiérache, dans l’Aisne, s’y prête en effet à merveille. Jean-Luc Ho, à l’orgue, en alternance avec l’ensemble vocal Les Meslanges pour le plain-chant, étaient en récital le 4 juin dans la cadre du 31ème Festival de musique ancienne et baroque.

 

« L ‘événement baroque du nord de la France » se déroule depuis trois décennies dans ce haut lieu musical, l’église offrant une acoustique idéale pour un répertoire tourné vers le XVII° et XVIII° siècle. L’orgue, construit en 1714 par le facteur Boizard et miraculeusement conservé jusqu’à nos jours, est doté de 31 jeux répartis sur 4 claviers et un pédalier. L’instrument est réalisé seulement 25 ans après la composition de la Messe solennelle à l’usage des paroisses, pour les Festes solemnelles de François Couperin. De plus, le musicien achève cette Messe à 22 ans, et reçoit pour cette partition la certification de Michel-Richard de Lalande, Surintendant de la Musique du Roi, afin d’être « digne d’être donnée au public » ! Plus récemment, en 1983, le célèbre organiste André Isoir inaugure l’orgue rénové.

En proposant une configuration orgue et chœur alternés, ce récital nous plonge dans le faste des grandes fêtes religieuses célébrées en l’église Saint-Gervais à Paris, où François Couperin occupait le poste de titulaire de l’orgue. Pour soutenir le plain-chant, un « serpent » accompagne les quatre chanteurs de l’ensemble Les Meslanges. Cet instrument à vent grave, de forme sinueuse et proche de la voix humaine, se fond dans l’ensemble vocal et en amplifie le son.

Les Meslanges
Les Meslanges © Jacques Bernard

La  Messe solennelle à l’usage des paroisses débute par le Plain chant du premier Kyrie en Taille, sous les doigts – et les pieds – de Jean-Luc Ho à l’orgue. Les jeux d’anches à la pédale chantent magnifiquement le plain-chant, tandis que le plein-jeu brille aux claviers. Les premiers frissons nous envahissent à l’écoute de cet instrument aux sonorités particulières, qui a traversé les années et demeure un authentique vecteur de la musique du Grand Siècle.

Les chanteurs entonnent à leur tour le plain-chant du Kyrie. La pureté des voix, la prononciation claire et naturelle du latin, conjuguées à l’acoustique de l’édifice nous saisissent par leur beauté. Il faut noter que les chanteurs, soutenus par la Fondation Royaumont pour ce programme, ont bénéficié des précieux conseils de Cécile Davy-Rigaux et Nathalie Berton du CNRS-IREMUS (Institut de recherche en Musicologie), et d’Olivier Bettens concernant la prononciation du latin chanté.

La sobriété du plain-chant – solennité obligetranche clairement avec la musique de Couperin, plutôt inventive et poétique, usant des nombreux jeux de l’orgue afin de varier les couleurs des versets. La musique française croise les influences italiennes, tandis que la danse s’invite dans les duos ou trios. Même si les indications de registration (art d’utiliser les jeux de l’orgue) sont notées par le compositeur sur la partition, Jean-Luc Ho fait « sonner » cette Messe avec vigueur et poésie. La diversité des jeux utilisés est un régal pour les oreilles : la beauté du Cromorne, la singularité de la Voix humaine, le timbre de la Trompette, la douceur des fonds… Toutefois, le long Offertoire sur les Grands Jeux demeure la pièce maîtresse de ce programme. Jean-Luc Ho met brillamment en lumière le génie d’écriture d’un Couperin intégrant le style italien.

Le Credo de cette Messe a été puisé chez Jean-François Lalouette, à un détail près : Les Meslanges ont souhaité ajouter des voix sur certains versets sous forme de faux-bourdon (ajout de notes parallèles, réalisé par ici par Thomas Van Essen, chanteur et directeur musical de l’ensemble). Une manière de donner une polyphonie à la monodie du plain-chant. Le résultat est saisissant et révèle la qualité des voix, pour la première fois réellement dissociables par l’auditeur.

Pour conclure, des pièces extraites des motets de Jean-François Lalouette, sont chantées depuis la tribune, accompagnées à l’orgue par une basse continue, qui met à un même niveau orgue et voix, une initiative séduisant le public à en juger par les applaudissements nourris qui suivirent !

Le festival de l’Abbaye de St-Michel-en-Thiérache se poursuit jusqu’au 25 juin. Son directeur, Jean-Michel Verneiges, tient à la qualité de la programmation et aux différentes actions pédagogiques menées dans le département. Dans le cloître, il propose des rencontres avec les artistes le dimanche après-midi, apportant ainsi proximité et convivialité au festival. En se promenant, on découvre les portraits de Jordi Savall ou Ton Koopman couvrant fièrement les murs de l’Abbaye, une manière d’entretenir l’esprit des lieux !

 


Le concert du 4 juin sera diffusé sur France Musique.

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