Jordi Savall © Herve Pouyfourcat

Ibn Battuta, le voyageur de l’Islam

2 minutes de lecture

Inspiré par le Rihla (récit de voyage) d’Ibn Battuta, qui en 1325 entreprit un voyage de trente ans depuis le Maroc jusqu’à la Chine et l’Afrique noire, Jordi Savall a recréé les musiques de son fascinant périple, en compagnie de musiciens venant des quatre coins du monde.

 

Ibn Battuta est au monde arabe ce que Marco Polo est à l’occident. Un voyageur hors norme qui, dès le XIVe siècle, s’aventure aux confins du monde connu. Un périple de 30 ans qui l’emmènera de son Maroc natal jusqu’en Chine, en passant par l’Asie centrale, l’Inde, ou les îles Maldives où il tente de se faire couronner roi. Enfin, le retour au pays natal en faisant un long détour par Bagdad, les merveilles de Grenade, la traversée du Sahara, l’empire du Mali…

C’est ce voyage que Jordi Savall a mis en musique à la cité de la musique le 4 novembre 2016. Un voyage dans l’espace suivant les traces du voyageur berbère avec les musiques qu’il a dû découvrir au long de ce périple. Des musiques arabes, bien sûr, mais aussi centre-asiatiques, indiennes ou chinoises. Jordi Savall s’est donc entouré de musiciens issus de tous ces pays qu’Ibn Battuta a parcourus, et qui nous transportent vers des sonorités venues d’ailleurs, étrangères mais porteuses de rêves de voyage, de luxe, calme et volupté.

Peinture de l'explorateur musulman Ibn Battûta © Yahyâ ibn Mahmûd al-Wâsitî — Bibliothèque nationale de France
Peinture de l’explorateur musulman Ibn Battûta © Yahyâ ibn Mahmûd al-Wâsitî — Bibliothèque nationale de France

Un voyage dans le temps aussi, avec des instruments comme ceux qu’Ibn Battuta a vus et entendus dans les différentes cours qu’il a fréquentées, ou bien qui égayaient une soirée au coin d’un misérable feu de camp. Tel le robab, instrument traditionnel afghan que Daud Sadozai tente de préserver, ou le kanun, cithare trapézoïdale à 24 triples cordes inventé par le philosophe Al Farabi au Xe siècle que Hakan Güngör joue avec maestria.

Un voyage dans l’histoire enfin, puisque le spectacle alterne des morceaux inspirés par les voyages d’Ibn Battuta avec des morceaux représentatifs des événements du XIVe siècle, début de la guerre de Cent Ans, de l’épidemie de peste noire, de la fondation de la dynastie Ming et des premiers établissements chinois à Singapour.

Le spectacle se construit sur des oppositions, entre les styles très différents des morceaux qui illustrent chaque tableau, mais aussi entre l’apaisement de la musique et de la narration de Bakary Sangaré et la violence qui imprègne l’époque et le récit d’Ibn Battuta : conditions de voyage sommaires, persécutions, peur devant l’inconnu, conspirations, naufrage… Enfin, la plus flagrante des oppositions est la réunion de musiciens espagnols, chinois, turcs, indiens, arméniens, marocains, syriens, afghans et grecs pour un magnifique dialogue musical et culturel sur un texte qui porte une vision du monde ethnocentrique et excluante.

Alors que sévit de plus en plus une nostalgie moisie d’un passé fantasmé, il est salutaire de constater comment le XXIe siècle européen exprime tout son génie lorsqu’il aspire à l’universel.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

Article précédent

Des compositeurs baroques plongés dans l’univers de la guitare, entretien avec Arkaïtz Chambonnet

Article suivant

La rédemption d’Abigaille : Anna Pirozzi triomphe dans Nabucco à Monte-Carlo

Derniers articles de Chronique