Quatuor Ramsès
Quatuor Ramsès © Music for a gene / DR

Opus 23 – Music for a Gene : quand le génome humain donne le la

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Conversation avec Lydie Lane, chercheuse à l’Université de Genève et à l’Institut Suisse de Bioinformatique, et conceptrice du projet Opus 23 – Music for a Gene, mis en musique par Olivier Calmel.

 

En quoi consiste votre travail à l’Institut Suisse de Bioinformatique?

Alors que la signification de mots comme chromosome, gène, ADN… est encore énigmatique pour la plupart des gens, il sera bientôt banal d’avoir la séquence de son génome stockée dans son dossier médical ! L’Institut Suisse de Bioinformatique aide les chercheurs à décrypter les informations contenues dans les séquences d’ADN pour les utiliser à des fins diagnostiques ou thérapeutiques. Une autre de ses missions est de former les médecins, et les citoyens en général, à ces nouveaux concepts et d’aider à résoudre les problématiques éthiques qu’ils peuvent poser.

Comment avez-vous eu l’idée de réconcilier musique et science ?

Je ne sais pas si on peut parler de réconciliation : la musique et la science ont été liées pendant des siècles !
De l’Antiquité à la Renaissance, la musique était même considérée comme une science à part entière. On disait d’elle qu’elle permettait de révéler à l’homme de manière immédiate l’harmonie des astres ou celle des nombres… Ce n’est qu’au XVIIIe siècle et à l’époque romantique que les liens entre musique et sciences se sont distendus ; en effet, à cette époque-là, c’est surtout le pouvoir émotionnel de la musique, sa capacité à rendre compte des passions et des sentiments humains, qui a été développé.
Depuis la fin du XIXe siècle, beaucoup de compositeurs s’intéressent de nouveau à la science. Certains ont utilisé des concepts mathématiques compliqués pour développer de nouveaux langages musicaux. D’autres ont littéralement transposé certaines données scientifiques en partitions musicales. Par exemple, dans les années 80-90, lorsque les premières séquences d’ADN ont été obtenues, plusieurs méthodes informatiques permettant de les convertir en notes ou en rythmes ont été développées et grâce à elles, des dizaines de partitions ont été générées automatiquement. Bien sûr, le résultat ressemble plus à des musiques aléatoires qu’à des musiques écrites. Enfin, certains compositeurs se sont attachés à combiner l’aspect émotionnel de la musique et une thématique scientifique. Dans le domaine de la génétique, cette idée n’a pas encore été beaucoup exploitée, à part dans quelques œuvres récentes comme Allele, de Michael Zev Gordon, une œuvre vocale pour 40 choristes qui chantent une portion de leur propre séquence d’ADN. C’est un peu dans cet esprit que j’ai imaginé ce dialogue entre musique et génétique. Pour moi, la musique et l’art en général, comme la science, sont des manières d’explorer et de décrire le monde qui nous entoure. Dans ce projet, nous voulions voir s’il était possible d’écrire une musique suffisamment évocatrice et imagée pour qu’elle puisse illustrer certains concepts scientifiques, un peu comme le ferait un tableau. C’est cette idée qui a séduit la Fondation Cogito, qui nous a apporté son soutien financier.

Pourquoi avoir choisi le quatuor à cordes ?

La musique résultant de ce projet avait pour vocation d’être présentée non seulement dans des salles traditionnelles mais aussi dans des universités, des écoles, des salles de congrès… Il était donc indispensable qu’elle soit écrite pour une petite formation, qui ne nécessite ni instrument volumineux, ni installation complexe. Comme l’alphabet de l’ADN comporte 4 lettres, la forme du quatuor à cordes, réunissant 4 instruments à 4 cordes nous a semblé particulièrement indiquée.

 

Pourquoi avoir fait appel à Olivier Calmel ?

Je désirais avant tout travailler avec un compositeur intéressé par le mélange des genres, le dialogue. Olivier Calmel a un parcours de musicien classique. Il a reçu des prix d’écriture et d’orchestration et compose pour des ensembles contemporains et pour des films ou documentaires. Il est aussi pianiste de jazz et hautboïste. Il n’hésite pas à mélanger différentes influences et à faire dialoguer différents styles de musique. Il en résulte une musique au caractère fortement émotionnel que je recherchais pour ce projet. De plus, j’ai assisté en 2013 à la création de son concerto pour violoncelle Rite of Peace par Xavier Phillips et j’ai été séduite par son approche des instruments à cordes. Enfin, Olivier Calmel est quelqu’un de curieux, qui s’intéresse à de multiples sujets en dehors de la musique. Certaines de ses compositions ont pour thème des sujets de société, et je me doutais qu’une telle thématique, à mi-chemin entre science et éthique, l’intéresserait.

Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Il a d’abord fallu qu’Olivier Calmel s’approprie ces concepts qui ne lui étaient pas familiers. Nous avons travaillé à l’aide de documents simples, d’images. Mais je crois que c’est sa visite dans notre laboratoire et notamment sa rencontre avec le Professeur Amos Bairoch qui lui ont permis de mettre des images, des sensations, puis des sons sur ces concepts scientifiques.
Pour le découpage de l’œuvre, nous avons choisi les concepts qui nous semblaient les plus importants à illustrer : l’hérédité, les chromosomes, la double hélice d’ADN, les gènes, le code génétique, les variations individuelles, et enfin le séquençage de l’ADN. Ces éléments ont été transposés en musique à l’aide de jeux sur les nombres, les rythmes, les associations d’instruments. Ces transpositions sont des clés de lecture, mais elles ne sont pas essentielles pour apprécier l’œuvre. Nous ne voulions pas quelque chose de trop conceptuel ou intellectuel, et tenions à ce que la pièce soit intéressante pour elle-même et belle à écouter. Il nous a semblé important que l’auditeur puisse avoir son propre imaginaire.

En tant que fils de musiciens, Olivier a voulu savoir si le fait d’être musicien pouvait s’expliquer par la génétique. Les études les plus récentes indiquent qu’environ la moitié de nos aptitudes musicales seraient d’origine génétique, le reste étant influencé par l’environnement et l’éducation. Jouer de la musique est quelque chose d’extraordinairement complexe au niveau biologique. Il faut être capable d’entendre et de comprendre les mélodies et les rythmes, de les reproduire, d’être créatif dans leur interprétation… Derrière une telle complexité, il y a donc probablement plusieurs gènes en jeu. Parmi les 20 000 gènes que nous possédons, le gène UGT8 aurait un rôle dans notre capacité à chanter juste. L’équipe du professeur Seo, basée en Corée, a montré qu’une minuscule variation dans sa séquence, présente chez certaines personnes, leur permettrait de chanter plus juste que la population générale. C’est en clin d’œil à cette découverte et à ce gène qu’Olivier Calmel a intitulé sa pièce Opus 23 – Music for a Gene. Le numéro 23 fait référence aux 23 paires de chromosomes présentes dans toutes les cellules humaines.
Lorsqu’on transpose en musique la microrégion d’ADN dans laquelle on trouve cette variation du gène UGT8 qui pourrait influer sur nos aptitudes musicales (TGCTGC C/T GGAGAAG), à l’aide du code suivant (proposé initialement par Susumu et Midori Ohno en 1986) : A=D (ré) ou E (mi) en alternance ; T = A (la) ou B (si) en alternance ; G=F (fa) ou G (sol) en alternance ; C=C (do) ou D (ré) en alternance, on obtient la mélodie suivante : AFCBGD C/A FGDFEDG. Olivier Calmel a utilisé ce thème comme fil rouge dans tous les mouvements sauf dans le mouvement IV où la totalité de la séquence d’UGT8 est transposée en musique.

Qui sont les musiciens du Quatuor Ramsès ?

Le Quatuor Ramsès regroupe quatre musiciens genevois, qui interprètent habituellement un répertoire plutôt classique. Abdel Hamid El Shwekh et Sidonie Bougamont sont solistes de l’Orchestre de la Suisse Romande. Alain Doury a été violoncelle solo à l’Orchestre Symphonique de Zurich pendant 20 ans et joue régulièrement à l’Orchestre de la Suisse Italienne. Galina Favereau collabore dans plusieurs orchestres romands prestigieux. Désireux d’aller à la rencontre d’un autre public, ils jouent régulièrement à l’Hôpital de Genève pour les patients, leurs familles et les médecins. Il m’a semblé naturel de les impliquer dans ce projet et de les amener à rencontrer des scientifiques et des généticiens. Ne faisant pas partie du strict milieu de la musique contemporaine, je savais qu’ils accueilleraient les partitions sans a priori de style ou de courant. Je leur suis très reconnaissante d’avoir accepté de se lancer dans une telle aventure !

 

Comment a été accueillie la pièce ?

Opus 23 – Music for a Gene d’Olivier Calmel a été créée à Genève le 25 juin 2014. En première partie, nous avions invité le Professeur Amos Bairoch à donner une conférence sur la génétique.
Nous avons recueilli les impressions du public à l’issue du concert à l’aide d’un questionnaire. Nous fûmes ravis d’apprendre qu’une grande majorité de personnes (87% des spectateurs présents pour être précis) avaient apprécié la conférence et la musique !
Depuis, la pièce a été rejouée à plusieurs reprises notamment lors de différentes manifestations scientifiques, et a toujours été très bien accueillie. Le projet a également intéressé les médias suisses : émission Violon Dingue sur la RTS, e-journal de la NZZ, émission Magma sur Espace 2, JT Léman Bleu.

Envisagez-vous une suite ?

Nous avons déjà des propositions pour présenter cette pièce à la rentrée dans des lycées ou des écoles à l’occasion de manifestations comme la Fête de la Science. Nous sommes toujours partants pour présenter notre projet auprès de tous types de public.
Nous sommes actuellement occupés à trouver des fonds pour réaliser l’enregistrement d’un documentaire audio, distribué sous forme de disque digipack et sur les plateformes numériques, objet à la fois musical, scientifique et pédagogique – musique de chambre pour les uns, support utilisé à des fins pédagogiques dans les écoles ou les universités pour les autres. Cet enregistrement aura lieu du 3 au 6 septembre 2015 à Genève.
Nous venons de lancer une collecte sur la plateforme de financement participatif Kiss Kiss Bank Bank. Sur cette plateforme, ce sont les projets musicaux qui ont le meilleur taux de succès, alors nous sommes optimistes !
Si ce projet vous plaît, suivez nous sur Facebook et n’hésitez pas à en parler autour de vous ! Et si vous souhaitez des précisions, contactez-nous à musicforagene@unige.ch.

Parallèlement à sa formation en chant lyrique, Cinzia Rota fréquente l'Académie des Beaux-Arts puis se spécialise en communication du patrimoine culturel à l'École polytechnique de Milan. En 2014 elle fonde Classicagenda, afin de promouvoir la musique classique et l'ouvrir à de nouveaux publics. Elle est membre de la Presse Musicale Internationale.

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